jeudi 24 mai 2012



A propos de Patronymies. (Intervention de Jean-Jacques Tyszler à Jurujuba, Hôpital psychiatrique de Rio, 26 avril 2012.)



Je suis content de me retrouver de nouveau avec vous. Je voulais vous présenter l\'enjeu du livre autour duquel nous sommes réunis, Patronymies De Marcel Czermak. Ce livre dont l\'édition en portugais est superbe. J\'en profite pour remercier les collègues qui l\'ont traduit et fabriqué.Un mot pour Eduardo Rocha: il y a actuellement une tendance très lourde en psychiatrie qui se cache derriere les idéaux de réforme et qui est la tendance à responsabiliser la maladie mentale.Avec les mots qu\'Eduardo a utilisés : le terme de \"négociation\", d\'\"accord\" avec les patients, leur\"donner la parole\", on peut être d\'accord s\'il ne s\'agit que de décrire le pacte du transfert, mais la tendance moderne n\'est pas celle là : elle veut responsabiliser le fou et surtout le responsabiliser par rapport à ses actes. En France il y a beaucoup de malades en prison, il faut le savoir, ils sont complètement délirants mais ça ne fait rien,ils sont en prison au nom des actes commis, ou bien on les laisse dans la rue. C\'était frappant pour nos collègues de Rio venus à Paris,oui il y a beaucoup de psychotiques qui vivent dans la rue et tout simplement, c\'est le même raisonnement qui vaut : on les laisse, parce qu\'ils le veulent bien, ça les \"responsabilise\". C\'est pourquoi je crois que tu as raison Eduardo de le souligner: il y a des conditions morales de lecture de la folie, et au nom des idéaux de citoyenneté on veut faire disparaître le Réel de la psychose.
Je le dis pour les plus jeunes: d\'un premier point de vue, le livre de Marcel Czermak montre l\'extraordinaire variété des psychoses. Chaque cas que Marcel décrit se spécifie d\'une singularité incroyable. Pour ceux qui l\'ont déjà lu c\'est frappant, mais j\'engage ceux qui ne l\'ont pas encore lu à le faire, ils vont être étonnés de la force de chaque cas clinique. Chaque cas clinique constitue vraiment un cas et rien que ce fait reste pour moi une énigme absolue : comment se fait-il que la psychose soit bien plus variée que les névroses par exemple? C\'est quand même un fait étonnant, et donc l\'enjeu de ce point de vue du livre est de montrer qu\'à partir d\'un fait apparemment unique — ce que Lacan appelait le rejet du signifiant du Père de l\'inconscient — donc apparemment avec un seul nom on explique la diversité incroyable du fait psychotique. Marcel Czermak le raconte à sa façon formidablement, chaque psychose essaye de suppléer à sa façon au Un qui lui reste défaillant.
Je vais reprendre les choses un peu en-deça du livre parce que la thèse du livre est néanmoins un peu difficile, thèse qui est dans le nom du livre, Patronymies. Ce titre en indique l\'enjeu : quel est le lien entre le nom et la question du père ? Quel est le lien entre le nom propre et la question du signifiant père ? Est-ce une question qui concerne les pères, la question de la filiation, ou est-ce une question qui concerne la fonction du Père ? En tout cas le livre étudie à sa façon la question. Partir donc de la question des psychoses est très instructif pour chacun de nous. Le livre étudie la pathologie, les pathologies du rapport du lien du nom avec le signifiant du Père.
Pourquoi Marcel Czermak déploie-t-il une question aussi difficile ? Mais vous le savez tous, c\'est que la question du père est omniprésente dans la psychanalyse. Elle est omniprésente parce que Freud a pensé toute la psychanalyse à partir de la centralité de la place du père. Je fais une remarque latérale pour les jeunes qui voudraient faire une thèse : Freud lui-même, dans la question des psychoses, ne relie pas absolument le père à la psychose. C\'est Lacan qui relie de force la question du père et le fait psychotique. Chez Freud, tout cela reste beaucoup plus imprécis, mais il est vrai que Freud n\'aimait pas tellement suivre les psychotiques. La thèse de Freud, je vais la simplifier, c\'est que pour chacun de nous, l\'identité, ce que nous appelons l\'identité, se trouve reliée à la question du père. L\'enfant, petit, tout petit, doit trouver à prélever un trait qui va donc garantir son entrée dans le choix de l\'identité sexuée et en quelque sorte son passeport pour la représentation dans le monde. S\'il ne trouve pas à prélever ce trait, il ne devient pas forcément psychotique, mais il va alors chercher son identité - ce que nous voyons beaucoup aujourd\'hui dans la clinique des enfants - il va chercher son identité du côté des objets, des objets de consommation, ce qu\'on dira après “les addictions”, et vous m\'avez dit hier qu\'il y avait actuellement un grave problème de santé publique au
Brésil concernant les addictions chez les très jeunes. Donc vous voyez, c\'est une piste minimale que nous lègue Freud : soit j\'entre dans la vie par ce trait, soit je me réfugie du côté des objets.
Il y a je crois une chose très importante à rappeler, parce que son traitement me semble différent en France et au Brésil, c\'est que pour Freud, le trait dont il parle là est également appartenance à une communauté. Tu en parlais tout à l\'heure Eduardo, mais qu\'est-ce qui fait communauté? En France vous le savez, nous assistons à une forme de retour des communautés, ce qu\'on appelle le communautarisme, avec des effets xénopathiques d\'ailleurs. Ceux qui ont suivi l\'actualité récente ont vu la force actuellement en France de l\'extrême droite, et ce qui est très angoissant, particulièrement dans la classe d\'âge des plus jeunes. On dit que dans la classe d\'âge des18-25 ans, un quart aurait voté pour les idées d\'extrême droite, donc pour un parti xénophobe et raciste. Au Brésil probablement cette question est très différente. Cela mériterait qu\'on en discute dans les journées qui viennent, il semble que le signifiant brésilien aspire, avale, la question communautaire. En tout cas vous voyez, ce passage, cette mise en place de Freud reste très pertinente. Lacan semblait penser que le trajet d\'une psychanalyse tout simplement permettait de faire de ce trait communautaire une simple appartenance aux lois de la parole. L\'identité se trouvait donc là déplacée vers la cause du désir. Et vous voyez ce qui est important à signaler, c\'est que la marge est assez étroite entre une existence qui ne sacrifie plus à ce que demande souvent les religions, au Nom-du-Père, et à ce que nous voyons beaucoup aujourd\'hui, des formes d\'individualisme sans foi ni loi. Donc la marge est assez complexe, et la psychanalyse en quelque sorte se propose pour éclairer cette contradiction.
Il y a dans le livre de Marcel Czermak Patronymies, des éléments qui sont quasiment des éléments de fondation. Tout à l\'heure, Eduardo parlait de la schizophrénie, je n\'en ai pas fait la recherche, mais je crois que le mot de schizophrénie est presque absent de tout le livre. Ce qui peut paraître drôle pour les jeunes, parce qu\'aujourd\'hui apparemment on ne voit que des schizophrènes! La schizophrénie est devenue la matrice de la conception de toute la maladie mentale. Mais Marcel Czermak, fidèle en cela à l\'esprit de Jacques Lacan, ouvre par la question de la paranoïa : Actualités et limites de la paranoïa. Et d\'ailleurs Eduardo tu faisais et fais une présentation de malade, et la plupart des cas que nous rencontrons lors des présentations de patients sont des formes de la paranoïa, ou bien des patients maniaco-dépressifs, des formes de la mélancolie; je veux dire, c\'est assez rarement des schizophrènes. C\'est quand même intéressant ce problème qui a inversé dans le regard moderne, la polarité de la maladie. Au tout début du livre, MarcelCzermak donne son programme, qui est donc de continuer à interroger les mots, l\'extension de la paranoïa, dans les champs de la psychose et hors de leurs champs, c\'est-à-dire dans le social. Et là il va donner le programme de presque tout le livre. Il nous parle de ce qu\'on appelle les “psychoses passionnelles”, dont vous le savez, nous devons l\'héritage au très grand aliéniste Gaëtan de Clérambault; il nous parle de paranoïa sensitive, de Kretschmer, et de sa sensibilité éthique, il nous parle de la proximité entre hypocondrie et paranoïa, il nous parle de la force de l\'amour dans la psychose. Et donc une fois que ce programme a été dit, vous vous apercevez que tout le livre, sous couvert d\'une reprise classique — parce que c\'est plein de culture classique — poursuit l\'élaboration du mot de paranoïa, l\'extension de ses formes cliniques, et donc je le répète, pas tellement de la schizophrénie.
Il y a, pour ceux qui l\'ont lu, comme c\'est un livre qui a déjà quelques années, il y a une surprise à l\'intérieur du livre, que peut-être on ne pourrait plus écrire maintenant. C\'est le chapitre consacré au transsexualisme, il y a un chapitre entier consacré au transsexualisme qu\'on aurait à peine le droit d\'écrire aujourd\'hui. Marcel Czermak a d\'ailleurs été interpellé par l\'Internet, par un lobby de transsexuels qui lui ont dit qu\'il était fasciste ! Il faut dire que ce chapitre est lié à ce fait, dans les années 80, donc il y a 30 ans, à l\'hôpital Sainte-Anne, Marcel Czermak a eu la chance de recevoir pour expertise clinique certaines demandes de changement de sexe. Et donc Marcel Czermak a fait de cette clinique un syndrome à part entière. Et là vous trouverez à l\'intérieur de ce chapitre, des éléments de théorie psychanalytique comme le terme que Marcel utilise concernant le transsexualisme, lorsqu\'il parle d\'“hyponcondrie phallique”, soit l\'hypocondrie du phallus. Si vous avez du mal à comprendre, il y a au milieu de l\'ouvrage de très belles photos de statuettes de l\'Île de Pâques qui peuvent vous aider à comprendre ce terme d\'hypocondrie phallique. Aujourd\'hui, vingt ou trente ans après, le transexualisme a disparu de la nosographie, y compris pour nous en France, il a disparu de la nomenclature de la Sécurité Sociale. Ça n\'existe plus. En tout cas, ce
n\'est plus un trouble. Ce n\'est plus que le choix d\'un genre. C\'est intéressant à quinze, vingt ans d\'écart,avec la force du discours social et du discours courant sur la liberté, la liberté concernant le choix du sexe, il y a toute une clinique qui disparaît.
Il y a un point assez difficile chez Lacan concernant justement le Nom-du-Père, mais qui apparaît dans l\'étude que Marcel fait avec quelques collègues qui sont ici, et qui est appelé le cas Amanda. Pourquoi Lacan dit-il que la femme est un Nom-du-Père? Lacan a dit un jour que la femme est un Nom-du-Père. Vous trouvez dans les photos de statues, mais aussi dans les cas cliniques sur l\'identité sexuelle, une forme de réponse au mystère de cette formule. Parce que les patients psychotiques,d\'une certaine façon, vont vers cette femme toute, cette femme totale, Une, et donc ils essaient de faire\" Nom-du-Père\" de cette femme là.
La charnière, le point le plus difficile, mais ne craignez rien, c\'est difficile pour nous aussi, c\'est le lien que nous pouvons penser entre le nom, le nom propre en particulier, et la question du Père. Le livre va exemplifier les effets du rejet du signifiant père, les effets sur le nom propre qui poussent à l\'unification dans certains cas, poussent à la xénopathie dans d\'autres cas, ou encore aux effets de suppléance, de capitonnage, et donc là je vous renvoie à la charnière du livre qui s\'appelle : Comment dois-je vous appeler ? Remarques sur la patronymie dans la psychose, où Marcel étudie ce lien très énigmatique et qui reste très peu résolu, très peu décrit, le lien entre un nom propre et le nom du père.
Il a bien choisi le titre, Patronymies, qui nous vient du latin et avant du grec. \"patronumicos\" en grec, de pater, père, et onoma le nom. Lacan ne va cesser de jouer à sa façon de cette étymologie que Marcel reprend, et pour ceux qui ont déjà beaucoup travaillé Lacan, dès le début de ce qu\'on appelle La troisième, il y a des onomatopées, c\'est drôle, des créations de mots. Lacan qui continue à réfléchir à l\'effet père en vient à écrire des onomatopées. Je vous renvoie à une référence de lecture, une référence littéraire. C\'est la même chose que fait Antonin Artaud, vous savez ce grand \"fou\",ce grand poète qui faisait du théâtre, qui fut hospitalisé à Ville-Evrard, soigné à Henri Rousselle où a travaillé Marcel,dans ce texte extraordinaire qui s\'adresse au père : Pour en finir avec le jugement de Dieu, et qui est également une suite d\'onomatopées. La clinique du nom propre est omniprésente dans la psychanalyse. Il y a des psychotiques qui se prennent vraiment pour leur nom par exemple, il y en a d\'autres qui se font appeller par leurs voix hallucinatoires par des noms dérisoires, un sobriquet. Souvent le psychotique voit son nom se volatiliser et se transformer en lettres, en éparpillement des lettres du nom. Les aliénistes psychiatres de l\'époque classique avaient beaucoup répertorié ces faits cliniques, mais il reste un point de théorie qui est essentiel et que Marcel souligne, c\'est un point très difficile à accepter. Marcel dit : “le nom n\'est pas un référent, mais c\'est à partir de quoi il peut y avoir de la référence.” La phrase paraît toute petite, mais elle est extraordinairement dense et centrale. Pourquoi? Parce que les logiciens — ce qu\'on appelle la logique en mathématiques —, aussi bien que les spécialistes des Sciences Humaines, anthropologues, sociologues, ont toujours proposé que le nom soit une référence rigide, un désignateur rigide. Ils ont toujours pensé que le nom propre était quelque chose qui assurait le symbolique, d\'une prise sur le réel. C\'est encore maintenant la thèse des logiciens, des linguistes, c\'est toujours comme ça. Il leur faut ce désignateur rigide, et donc là Marcel Czermak explore un point de théorie humaine capital. Le nom n\'est pas un référent, mais en quelque sorte c\'est un trou à partir de quoi il peut y avoir de la référence. Lacan a donné quelques pistes irrésolues de ce raisonnement, en particulier dans le séminaire L\'identification, où il parle de la nomination, du nom propre, mais les choses vont changer au fur et à mesure de son enseignement, et dans les séminaires tardifs, Lacan va essayer de distinguer les différentes nominations imaginaires, réelles et symboliques. Le cas extraordinaire de Mme Utile, Une psychose unienne, dit Marcel, c\'est une nomination réussie en quelque sorte, une nomination réelle réussie, comme précédemment être dit femme pour un transexuel peut être entendu comme une forme de nomination imaginaire. La thèse du livre est ce lien travaillé entre la question du nom propre et la question du père, ce qui va lier le nom au père, c\'est pourquoi Lacan dit le Nom-duPère, mais également ce qui peut nouer le désir au-delà de la filiation par le nom, ça me paraît être l\'axe central du livre, et vous voyez que ça concerne chacun de nous, même s\'il est lu au regard des psychoses.
Je vais aller vite pour terminer, parce qu\'il y a beaucoup d\'autres choses dans ce livre, un retour sur le nom de pulsion, la pulsion dans la psychose, des travaux sur la Manie, un travail original sur la mélancolie, une
reprise du thème de la défection fantasmatique dans la psychose, et il y a également un autre point qui devrait vous intéresser qui est la reprise par Marcel Czermak de la lecture par Lacan de la question de la sexualité féminine et de la position de la féminité. Ce que Lacan essaie de faire après Freud, et qui est donc une lecture que Marcel fait du grand séminaire Encore, de Lacan. Là il y a un travail soigneux, complexe, mais très riche, à mon goût, c\'est ma lecture, je ne l\'impose pas.
Marcel Czermak évoque à ce moment là ce qu\'on pourrait appeler les deux autres trous déterminants du Nom du Père: le phallus, et ce qu\'on oublie souvent le S(A)barré qui est le signifiant de l\'incomplétude dans l\'Autre. Ces trois écritures jalonnent le livre: Nom-du-Père, phallus, S(A)barré, symbole de l\'incomplétude dans l\'Autre. Ça c\'est quelque chose de très novateur. Moi je me suis beaucoup inspiré de cela, quand Lacan dit les Noms-du Père - ce qui ne pouvait pas être simple retour au polythéisme, même si c\'est intéressant - J\'ai trouvé dans les écritures de Marcel une piste de structure extraordinairement intéressante. Si vous voulez travailler ce point qui est très difficile, il faut que vous repreniez pas à pas le cas de Mme Utile.
L\'article le plus avancé d\'un point de vue topologique, c\'est ce cas très particulier qui s\'appelle “l\'homme aux paroles imposées”, et qui est vraiment une écriture lacanienne. Je ne veux pas dire que ce qu\'il a fait avant n\'est pas lacanien, mais là c\'est de la topologie lacanienne des noeuds borroméens qu\'il,s\'agit. L\'intérêt, au-delà de la difficulté, c\'est que c\'est à nouveau un retour sur la fonction du nom propre : Marcel met en parallèle le cas de son patient et le célèbre cas de Lacan, Joyce. Joyce se fait un nom par l\'écriture, pour suppléer à la carence paternelle, et Marcel Czermak propose que pour ce patient là, les paroles imposées soient des équivalents du Nom-du-Père. Pour Joyce, c\'est autre chose, une autre forme d\'automaticité, de créativité. Joyce ne parle que du père.Tout en récusant la question du père, il reste en permanence enraciné, c\'est-à-dire qu\'à cause de ce défaut, il travaille son oeuvre avec ce qui lui vient de ses racines, et même dit-il, de sa race. Vous voyez c\'est donc pour finir ce point qui me paraît le plus avancé du travail de Marcel Czermak : une fois qu\'on a analysé ce qui lie le nom au père, serons-nous pour autant capable, en état, de parler du désir au-delà de la filiation par un nom ?Il est capital, à mon sens, pour la transmission de la psychanalyse, que la thèse proposée ici par Marcel Czermak, soit proposée comme telle.

jeudi 10 mai 2012



Demande tendant au retrait de la décision du 7 mars 2012 de la HAS

 

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