jeudi 10 mai 2012



Demande tendant au retrait de la décision du 7 mars 2012 de la HAS

 

Monsieur le professeur Jean-Luc Harousseau
Président du collège de la Haute Autorité de Santé
2, avenue du Stade de France 93218 Saint-Denis La Plaine Cedex
Paris, le 7 mai 2012

Objet : Demande tendant au retrait de la décision n°2012.0015/DC/SBP du 7 mars 2012
Monsieur le président, mon cher confrère,
En ma qualité de président de l’Association Lacanienne Internationale, je vous saisis, par la présente, d’une demande tendant au retrait de la décision n°2012.0015/DC/SBP du 7 mars 2012 du Collège de la Haute Autorité de Santé portant adoption de la recommandation de bonne pratique « Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent » (plus loin « la recommandation »), ainsi que, subséquemment, à celui de ladite recommandation (pièce jointe : décision du 7 mars 2012).
Le retrait de cette recommandation publiée par la Haute Autorité de Santé le 8 mars 2012 s’impose en raison, à la fois, des trop nombreuses insuffisances et erreurs sur lesquelles elle repose au plan scientifique, et des très graves atteintes qu’elle est de nature à porter aux intérêts tant des patients que des praticiens en charge de ces derniers.
1. Jusqu’à l’adoption de cette recommandation hautement litigieuse, nous avions l’espoir que le Collège de la Haute Autorité de Santé ne laisserait pas la rigueur scientifique qui doit être la sienne être contaminée par les actions, de nature lobbyiste et d’origines diverses (corps médical, dirigeants politiques, représentants d’associations) dirigées vers elle depuis des années - et de façon renforcée ces derniers mois - sur les problématiques liées au traitement de l’autisme.
En particulier, nous pensions qu’elle refuserait de se laisser dominer – en l’occurrence totalement - par l’influence très active des représentants du modèle biomédical comportementaliste et antipsychanalytique fondé sur le DSM[1] [2], ou influencer par les interventions d’acteurs politiques, telle celle du député Fasquelle qui, le 24 janvier 2012, en pleine finalisation de la recommandation, a déposé une proposition de loi n°4211 visant rien moins que « l’arrêt des pratiques psychanalytiques dans l’accompagnement des personnes autistes, la généralisation des méthodes éducatives et comportementales et la réaffectation de tous les financements existants à ces méthodes
».
Et, peut-être naïvement, nous croyions également que la Haute Autorité de Santé tiendrait compte des avertissements scientifiquement fondés que, parmi d’autres praticiens, le professeur Jacques Hochmann, chargé de projet dans le cadre de l’élaboration de la recommandation de bonne pratique, a émis durant celleci puis a rappelés en février 2012 après avoir pris connaissance de la synthèse de la future recommandation [3].
C’est donc avec la plus extrême et détestable surprise que les pédopsychiatres et les psychanalystes que nous sommes avons découvert que pour de prétendus motifs tirés d’une « absence de données sur leur efficacité » et d’une « divergence des avis exprimés » (l’absence de « consensus »), la recommandation désavouait et écartait d’un même mouvement, purement et simplement, les approches proposées par la psychiatrie humaniste, c’est-à-dire par la «psychothérapie institutionnelle » et par la psychanalyse (rapport, p. 27 / synthèse, p. 181).
Comme l’ont notamment rappelé le professeur Misès et le docteur Salbreux dans des articles publiés dans le numéro n°206 de La Revue de Psychiatrie Française de mars 2012, sans doute avons-nous mal interprété les assurances données par le directeur général de la Haute Autorité de Santé le 13 février 2012 selon lesquelles les méthodes psychanalytiques du traitement de l’autisme ne seraient pas écartées ou interdites.
1. 2. Reposant sur des partis pris contraires à l’esprit et à l’éthique scientifiques, remettant totalement en cause la pratique d’un très grand nombre de professionnels de santé en charge de patients autistes, condamnant, par ses directives, la poursuite de traitements mis en œuvre depuis des années - en mettant, ce faisant, en danger nos patients -, et étant, enfin, déontologiquement inacceptable, la recommandation de bonne pratique « Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent » ne peut qu’être retirée.
Sans qu’il soit question à ce stade de reprendre point par point la recommandation, il est de mon devoir d’évoquer, de façon synthétique, les principaux groupes de défectuosités qui entachent celle-ci.
2.1. En premier lieu, tant les définitions sur lesquelles cette recommandation repose (2.1.1) que son champ d’application (2.1.2) révèlent le caractère gravement tronqué et erroné de celle-ci.
2.1.1. Contrairement à ce que la recommandation pourrait conduire à croire, l\'autisme est un trouble dont la définition et les causes sont très diverses et restent, à ce jour, extrêmement discutées.
Depuis l’établissement du tableau princeps de Kanner, le regard clinique a évolué et il est acquis que les formes de l’autisme sont très diversifiées, avec :
- dès les premiers mois de l’enfant (la clinique du bébé), la reconnaissance possible de signes précoces de souffrance autistique, dont la recommandation ne fait aucunement mention[4];
- l’autisme infantile, désormais distingué de la psychose infantile, et qui constitue le modèle qu’examine la Haute Autorité de Santé ;
- le cas des grands autistes que les psychiatres et les psychologues rencontrent dans les hôpitaux et qui présentent des troubles très régressifs du comportement, avec par exemple des automutilations ; c\'est au demeurant grâce à l\'inspiration de la psychothérapie institutionnelle - que la recommandation de la Haute Autorité de Santé écarte[5] -, que cet aspect « Dur » de l\'autisme a pu être accompagné avec une certaine dignité ;
- la forme, très relayée médiatiquement, du syndrome d\'Asperger, dans lequel on peut voir des sujets intelligents et brillants et ce, malgré leur affection ;
- comme usuellement médecine - et surtout en psychiatrie -, toutes formes d\'atypicité et de nuances qui font encore de l\'autisme une énigme scientifique.
2.1.2. Or, le caractère monomorphe et extrêmement standardisé de la recommandation adoptée par la Haute Autorité de Santé ne rend aucunement compte de cette diversité et de la pluralité des cas rencontrés, ce qui est à la fois incompréhensible et scientifiquement dangereux.
Au demeurant, même le titre général de la recommandation, « Autisme et autres troubles envahissants du développement », est contestable.
En effet, en visant à la fois l’« autisme », d’un côté, et les « troubles envahissants du développement »[6] (les « TED »), de l’autre, la Haute Autorité de Santé regroupe dans un même ensemble des situations cliniques extraordinairement diverses et dépassant totalement le cadre même de la problématique de l\'autisme, puisque participent des « TED » d\'autres syndromes tels que « l\'hyperactivité » ou le retard mental.
Cet intitulé laisse ainsi entendre que tout « trouble envahissant du développement » ferait partie de la recommandation, ce qui n’est probablement pas le cas - tout au moins le pensons-nous -.
Plus gravement encore, le contenu même de la recommandation laisse perdurer les mêmes incertitudes quant à son champ d’application exact.
A la lecture De la recommandation, il apparaît ainsi impossible de déterminer quels types de TED elle recouvre concrètement : porte-t-elle notamment, ou non, sur :
- les formes de psychose infantile?
- les troubles compulsifs?
- l\'ensemble des troubles déficitaires de l\'attention avec hyperactivité (les «TDHA») ?
Il en ressort que c’est sur la prise en compte d’un ensemble de troubles peu cohérent d\'un point de vue clinique, et qui regroupe en définitive la majorité des situations rencontrées en consultation pédopsychiatrique, que la Haute Autorité de Santé a déterminé et impose, d’une façon aussi arbitraire que contestable, les méthodes et le circuit de prise en charge des patients qu’elle détaille tout au long de la recommandation.
2.2. En second lieu, la recommandation repose sur une approche exclusivement comportementaliste et développementaliste.
Outre le fait que ladite approche ne peut en aucun cas être davantage consensuelle que les autres méthodes qu’elle prétend exclure pour « défaut de consensus », ce choix est scientifiquement condamnable.
Dans le même temps, est au demeurant topique la référence faite par la recommandation aux « thérapies intégratives », au sujet desquelles, il convient de le rappeler, le professeur Hochmann a indiqué qu’elles « semblent une invention ad hoc, peut-être pour écarter des dissensions et obtenir un consensus de surface. La seule publication qui semble avoir employé ce terme est une enquête multicentrique qui pèche par l’absence de références théoriques et une absence totale de précision sur des pratiques qui semblent très différentes à la fois quantitativement et qualitativement d’un lieu à un autre. »
2.2.1. Sous couvert d\'une approche globale, la recommandation insiste sur l\'origine déficitaire des
troubles, accordant l\'essentiel des mesures proposées à la compensation du «handicap». Corollairement, elle appréhende les interventions de soins psychologiques comme de simples adjuvants.
Cette surprenante prise de position de la Haute Autorité de Santé est liée au choix fait par elle d\'un modèle biomédical exclusif avec un support d\'organicité, en vertu duquel seules seraient tenues comme dignes d’intérêt les données issues de la recherche neurobiologique.
Si, certes, les apports de la génétique ne peuvent être contestés - même si nous ignorons quel ensemble de gènes serait concerné par les TED -, pour autant l\'exclusivité accordée aux mesures de compensation du handicap n’est aucunement justifiée, notamment pour les raisons suivantes :
- Dès la clinique du bébé, des inventions sémiologiques et un travail thérapeutique conjoint enfant / parents permettent désormais de dépister, de façon extrêmement précoce, des signes de souffrance autistique.
Nous savons mieux désormais ce qu\'est un tout petit qui ne donne aucun intérêt pour le parent qui l\'appelle. Nous savons comment se détruisent alors les compétences parentales, et nous connaissons les effets de découragement qui peu à peu vont s\'en déduire.
L\'autisme est une maladie dont les premiers signes sont d\'emblée présents : seuls les praticiens formés savent les dépister et aider les parents d’autistes qui - plus que les parents d’enfants non atteints d’autisme - essayent de stimuler leur enfant et d\'interagir avec lui.
- Nous connaissons aussi les recherches sur les facteurs d\'hyper sensibilité perceptive, telle l\'hyperacousie ; la médecine continue de chercher les raisons pour lesquelles les perceptions ne sont pas correctement traitées par le bébé.
Je crois utile de rappeler que ces découvertes, relativement récentes, ont été principalement faites par des psychanalystes. L\'association Préaut a ainsi beaucoup œuvré pour faire partager l\'expérience consistant à visionner et de déchiffrer les films familiaux de petits enfants devenus autistes. Elle en a recueilli une somme de savoir-faire qu\'elle destine désormais à la formation de tout personnel de santé en contact avec l\'enfance. Davantage que du savoir-faire, il s\'agit de compétences qui, avec les méthodes scientifiques actuelles, sont évaluables et quantifiables quant à leurs intérêts.
Or, d’une façon aussi contestable que préjudiciable aux patients, ces découvertes sont totalement ignorées par la recommandation de la Haute Autorité de Santé[7]
Il en résulte que dans la recommandation, le « trouble envahissant », qu\'il soit autistique ou non, n\'est jamais envisagé comme pouvant être traité, serait-ce partiellement, d\'un point de vue psychopathologique.
Or, une telle approche est non seulement décourageante, mais surtout très éloignée de la pratique rencontrée.
2.2.2. Cette approche exclusive, partielle et partiale de l’autisme (ou plus généralement des TED) nous semble notamment tenir à ce que tout au long de leurs travaux la Haute Autorité de Santé et l’ANESM ont soigneusement tenu à l’écart les représentants des approches psychanalytiques et de la pédopsychiatrie engagée sur ce terrain.
En effet, je note qu’alors qu’ont participé aux réunions de travail de multiples organismes professionnels, associations de patients et d’usagers, et experts (cf. la synthèse, pp. 464 et suivantes), aucune association de psychanalystes - et notamment l’Association Lacanienne Internationale que je préside - n’a été conviée à celles-ci ni été mise en mesure de contribuer à cette recommandation.
Si l’approche de la Haute Autorité de Santé n’avait pas d’emblée reposé sur un parti pris consistant à écarter la psychiatrie humaniste, il ne fait nul doute que la participation de nos associations à ces travaux serait apparue comme une évidence, et aurait évité d’aboutir au catastrophique résultat que nous dénonçons.
Je rappelle en particulier qu’à l’instar de la plupart des associations de psychanalyse, l\'Association Lacanienne Internationale réunit, en très grand nombre, des médecins, des psychiatres et des psychologues très impliqués dans le champ sanitaire et médico-social.
Bien que cela ne ressorte aucunement de la synthèse de la recommandation, les psychanalystes, engagés au titre de leur diplôme d\'état de psychiatre ou de psychologue, sont ainsi très nombreux dans les secteurs de pédopsychiatrie, dans les hôpitaux de jour, CMP, CMPP, SESSAD, etc. Jusqu’à présent, leur formation psychanalytique était reconnue et appréciée des institutions de santé.
Dans chaque unité, nos collègues travaillent en général selon une approche globale alliant inspiration psychanalytique, méthodes éducatives et pédagogiques, intégration scolaire, orthophonie et psychomotricité, voire méthodes plus comportementales ou cognitivistes[8].
De plus, d\'un point de vue sociologique, il est reconnu que plus de la moitié des psychiatres français s\'inspirent de la psychanalyse. La relation entre psychanalyse et psychiatrie est d’ailleurs encore plus nette en pédopsychiatrie, car la plupart des fondateurs de cette discipline étaient à la fois de grands psychiatres et de grands psychanalystes. Sans doute est-il nécessaire de préciser, puisque la recommandation n’en fait pas état, que les institutions originales pour le traitement de l\'autisme ont été ouvertes par des psychanalystes, telle l’école expérimentale de Bonneuil dans le Val-de-Marne par Maud Mannoni.
En outre, des découvertes récentes dans la question cruciale de la prévention de l’autisme ont été le fait de psychanalystes français : nos travaux sont connus et reconnus par les instances publiques et sont mis en œuvre tant en France que dans bien des pays du monde, car la psychopathologie française est très respectée. Nous pouvons à cet égard citer les apports scientifiques majeurs de nos collègues de l’association Préaut, mais ce n’est nullement exclusif.
C’est d’ailleurs à ce titre que les associations de psychanalyse ont été associées ces dernières années à la réglementation par l’Etat de ce qu’on appelle la « psychothérapie ».
Notre propre association, qui est reconnue d’utilité publique, a ainsi été conviée par les Agences Régionales de Santé à participer aux commissions officiellement installées dans chaque région pour reconnaître le titre de psychothérapeute et aussi établir la liste des formations qui seront accréditées pour la délivrance de ce titre. Un certain nombre de nos collègues participent ainsi, bénévolement, au service public de santé en compagnie d’autres praticiens.
L’Etat considère donc la psychanalyse comme une méthode de traitement parfaitement scientifique et crédible, et consulte nos associations.
Dans ces conditions, il est évident que nous ne pouvions pas anticiper cette condamnation par la Haute Autorité de Santé de notre pratique régulière dans le soin auprès des enfants, au profit d’une approche comportementaliste exclusive. Vous comprendrez donc aisément le désarroi et l’incrédulité de nos collègues face à la tonalité de la recommandation adoptée par la Haute Autorité de Santé.
2.2.3. Il est évident que la Haute Autorité de Santé ne peut se placer et se maintenir dans l’ignorance de cette évolution et de cette complexité : la recherche avance avec son caractère forcément empirique, et il faut garder une ouverture pour chaque expérience prometteuse d’avenir.
Il est extrêmement dommageable que, comme semble le révéler sa recommandation, la Haute Autorité de Santé soit, le cas échéant sciemment, en retard sur le débat scientifique, et pas uniquement sur les questions
de prévention.
A cet égard, je crois nécessaire de rappeler qu’outre-Atlantique, les cognitivistes et les comportementalistes s’opposent déjà avec violence précisément sur les méthodes mises en valeur et préconisées dans sa recommandation par la Haute Autorité de Santé, en particulier relativement à celle appelée « ABA » ( Applied behavior Analysis).
L’ABA se borne en effet à retenir une approche des comportements qu’elle essaye de régulariser sans chercher à en comprendre les fonctions et sans se préoccuper de la vie affective de l’enfant.
Des partisans d’autres méthodes également citées par la Haute Autorité de Santé et connues, telle la méthode TEACCH (treatement and éducation of autistic and related communications handicapped children) ont vigoureusement critiqué les résultats de la méthode ABA.
S’il n’est, évidemment, nullement question de disqualifier telle ou telle approche, il est en revanche indispensable d’exiger que la Haute Autorité de Santé observe la plus grande prudence quant aux choix qu’elle propose comme exclusifs alors que les résultats sont encore, pour le moins, diversement appréciés et restent très discutés, et plus encore que, contrairement à ce qui est péremptoirement allégué dans la recommandation, ces approches « ne font pas consensus » (pour reprendre l’expression qu’affectionne la Haute Autorité).
L’exclusion, par la Haute Autorité de Santé, des apports et approches de notre discipline, sans motif scientifique sérieux et en considération d’une orientation typiquement idéologique, a d’ailleurs conduit les très rares experts ayant participé aux réunions de travail en leur qualité de psychiatres et psychanalystes à déclarer publiquement ne pas pouvoir endosser l’ensemble des documents attachés à la recommandation.
Je cite ainsi l’intervention du professeur Hochmann sur ce point :
« Les données personnelles me concernant sur le document « recommandation » me conviennent.
Par contre je ne puis endosser l’ensemble de ces documents. Bien qu’il figure en annexe, notre rapport commun (J. Hochmann, C. Bursztejn, P. Bizouard), qui tentait de rassembler l’ensemble considérable de travaux effectués par les équipes de psychiatrie infantojuvéniles francophones, ne semble pas avoir été pris en considération. Je ne puis donner mon accord à la partie du rapport qui exclut les approches psychanalytiques, la psychothérapie institutionnelle et n’accepte que du bout des lèvres les thérapies intégratives. Aucun de ces termes n’est en effet défini dans l’argumentaire scientifique et on ne peut savoir ce qui est accepté et autorisé. »
2.3. En troisième lieu, cette recommandation apparaît extrêmement dangereuse et préjudiciable aux patients autant qu’à notre système de santé.
(i) Tout d’abord, de façon générale, il convient d’insister, une fois encore, sur la circonstance qu’il n’existe aucun consensus sur la recommandation de la Haute Autorité.
Bien au contraire, cette recommandation vient rompre, de façon brutale, l’approche pluraliste adoptée, de façon consensuelle, par les professionnels traitant l’autisme, au préjudice des nombreux praticiens se réclamant d\'une approche psycho-dynamique et psychanalytique.
Or, la défiance, voire le désaveu, manifesté(e) par la recommandation envers les praticiens que nous sommes a commencé à se diffuser massivement auprès du public par voie de presse, et a des conséquences dramatiques : les familles sont désormais atteintes par une grande suspicion à l’égard des psychiatres soignant leurs enfants autistes, et envisagent de retirer ces derniers aux services de psychiatrie qui les traitent.
A très court terme, ce sera le transfert des fonds publics alloués vers des associations privées qui posera problème.
(ii) Ensuite, Le principe d\'impartialité consubstantiel à la rigueur scientifique qui doit tous nous animer est foulé aux pieds tout au long du document de la Haute Autorité de Santé : sans qu’aucune définition scientifique en soit donnée, la psychanalyse, tout comme la psychothérapie institutionnelle, sont éliminées comme étant soi-disant « non consensuelles », en parfaite méconnaissance de l\'histoire et de l\'apport de la discipline.
Ainsi, la place de la psychanalyse est réglée en quelques lignes sous le titre «interventions globales non consensuelles».
La Haute Autorité de Santé feint ainsi d\'ignorer que la psychiatrie se partage entre un versant neurocomportemental et un versant psychopathologique et psycho-dynamique.
Est sciemment passée sous silence, notamment dans les références, ou méconnue par les experts consultés, la place de la psychanalyse en pédopsychiatrie ainsi que ses découvertes récentes dans le champ de l\'autisme. Tout cela est superbement ignoré, et pas même référencé.
(iii) En outre, les recommandations de la Haute Autorité de Santé présentent un caractère impératif dans le choix des traitements et le parcours de soin : le trajet proposé pour l\'enfant devient ainsi normatif quelle que soit la variété des cas cliniques.
Les évaluations dans les différents domaines de la vie de l\'enfant sont décrites avec didactisme, de même que les outils recommandés pour structurer les observations cliniques. S\'en déduisent les interventions « recommandées » suivant les classes d\'âge, avant 4 ans et après 4 ans.
Cette grille unique d\'approche vient évidemment en contradiction avec la remarque concernant « l\'hétérogénéité des profils cliniques et de l\'évolution des enfants/adolescents avec TED » (page 23 du rapport).
Pourquoi, dès lors, proposer un cadre aussi normatif, et uniformisé, alors que la diversité clinique est posée d\'emblée?
De la même manière, sont uniquement préconisées, et dès lors imposées, les approches éducatives, comportementales et développementales, sous le terme aussi inexact qu’inapproprié d\' « interventions globales ».
Il est à noter que les interventions précoces auprès du bébé (cf. supra) ne sont pas même mentionnées.
Au regard de l’approche notamment psychanalytique du traitement de l’autisme adoptée par la plupart des professionnels de santé traitant des patients autistes, la mise à l’écart total de la psychanalyse pose de nombreuses questions que ne résout pas la recommandation.
Sur ce point, je me permettrai de récapituler les observations et questions pertinentes posées par le professeur Hochmann dans son courrier du 12 février 2012 :
« La psychanalyse est définie habituellement sous trois aspects : une méthode de traitement, un procédé d’investigation de certains aspects de la vie mentale reposant sur une écoute particulière, un ensemble de théories formalisant l’ expérience clinique.
La méthode de traitement stricto sensu (divan fauteuil, associations libres donnant lieu à interprétation) ne s’applique évidemment pas aux enfants autistes et je ne pense pas que quiconque l’emploie. Sont-ce alors les diverses psychothérapies plus ou moins inspirées par la pensée psychanalytique qui ne sont pas recommandées ? On aimerait que soit précisé ce qu’on entend par là, alors que ailleurs on recommande le soutien individuel à la vie émotionnelle de l’enfant, les psychothérapies individuelles et les groupes de parole. Ces soins individuels et groupaux représentent l’essentiel des psychothérapies proposées aux enfants autistes ou TED dans les institutions sanitaires et médico sociales françaises. Est-ce cela qu’après l’avoir recommandé d’un côté on ne recommande plus de l’autre alors qu’on lui a accolé l’adjectif « psychanalytique », que bien peu de praticiens, analystes ou non, revendiquent comme tel ? On voit tout de suite les conflits que vont susciter ces recommandations sans définition préalable. Faudra-t-il qu’une équipe, qui compte dans ses membres un ou deux praticiens, par ailleurs formé à la psychanalyse ou intéressé par des lectures psychanalytiques, se justifie de s’intéresser à la vie émotionnelle des enfants qu’elle suit ou de les réunir pour un groupe de parole ? Faudra-t-il vérifier que dans un échange individuel ou groupal avec un enfant, ou dans le compte rendu qu’on en fait on n’utilise aucun mot comme « désir », « défense », « résistance »,« lapsus », « rêve » ? Sont-ce plutôt le procédé d’investigation et l’écoute analytique qui ne sont pas recommandées ? On peut s’interroger sur des recommandations qui excluent une forme de recherche et en particulier l’empathie : mode de connaissance qui donne accès, au-delà des comportements, à la vie intérieure de l’enfant au monde tel qu’il se le représente, au sens qu’il donne aux apprentissages qui lui sont proposés. Cela revient notamment à ne pas recommander la prise en compte des angoisses particulières aux enfants autistes, à leur résistance au changement, qu’il est difficile de nier quand on a l’expérience de rencontres avec eux. Je signale, en passant, que l’empathie est un sujet actuellement étudié fondamentalement par les sciences cognitives et non uniquement par la rêverie nébuleuse des seuls psychanalystes. Reste la question des théories. Est-ce leur usage dans l’approche des enfants autistes et surtout dans le travail de réflexion des équipes qui n’est pas recommandé ? Ce serait une curieuse manière d’envisager la recherche, mais aussi le soin, la pédagogie et l’éducation que de préconiser seulement l’emploi de méthodes estampillées en excluant une réflexion sur ces méthodes et sur la manière dont l’enfant qui en est l’objet les ressent. »
(iv) Ce caractère impératif[9] va jusqu\'à préciser l\'organisation des services, le projet d\'établissement, les conventions et chartes de réseaux, le projet personnalisé de suivi, la formation des professionnels, la spécialisation d\'un professionnel comme coordinateur, etc.
A travers l’expression « modalités d\'organisation du travail transdisciplinaire», la recommandation de la Haute Autorité de Santé a en réalité pour vocation de formater la pluralité et la diversité des structures et des services, ainsi que la formation des professionnels de santé.
Tout ceci est largement détaillé à partir de la page 38 du rapport et jusqu\'à sa partie finale en englobant la dimension de la recherche clinique.
La description clinique à laquelle la Haute Autorité de Santé procède dans sa recommandation semble prendre appui sur des données immédiatement objectivables et fixées sous une forme extrêmement codifiée. C\'est oublier, ce faisant, que la clinique de l\'enfant fait toujours apparaître, sous le nom commun d\'un trouble ou d\'une maladie, des faits pathologiques très différents dans leur mode d\'organisation, de structuration et de pronostic. Pour tel enfant la méthode proposée par la Haute Autorité de Santé vaudra,
pour tel autre une approche plus psycho-dynamique s\'imposera.
C\'est pour cela que les unités de psychiatrie ont une réponse institutionnelle différente les unes des autres avec des traditions et des expériences qui ne peuvent pas donner lieu à une pensée unique.
Dans la mesure où la recommandation insiste en permanence sur le travail d’équipe, vous comprendrez que nous soyons choqués, notamment, de l’exclusion de la psychothérapie institutionnelle dont le principe même est d’analyser les effets sur le fonctionnement des équipes du contact prolongé avec les enfants autistes, ainsi que les manières dont les prises de décision par les équipes sont inévitablement affectées par lesdits effets (parfois de façon délétère : routine ou monotonie, génératrice d’ennui et de perte de créativité, incompréhension, sentiment de perte de repères pouvant entraîner des maltraitances ou des négligences).
(v) Enfin, cette intrusion pratique est de nature à porter de graves atteintes à la déontologie à laquelle nous sommes soumis dès lors qu\'un praticien en action ne peut pas se borner à exécuter les instructions de l\'administration : il est nécessairement amené à choisir en toute conscience telle option de suivi et de traitement avec l\'accord du patient et de la famille.
Ainsi, les règles de déontologie médicale imposent au praticien une liberté de conscience et d\'action même s\'il inscrit son travail dans le savoir général de la discipline. La pédopsychiatrie reste un art comportant beaucoup d\'incertitudes, et caractérisé par une évolution permanente.
L\'acte du médecin ne peut donc se réduire à un catalogue de bonnes conduites.
Le caractère impératif des directives contenues dans la recommandation nous apparaît donc être en contradiction avec la déontologie et avec les règles qui en découlent, lesquelles doivent nécessairement prévaloir.
2.4. Les ruptures que cette recommandation va indubitablement générer dans le traitement de l’autisme seront brutales, rapides et préjudiciables à tous.
Cette conséquence sera insupportable pour les patients, pour leurs familles, et pour les praticiens que nous sommes.
2.4.1. Il est à cet égard à rappeler que la compréhension de l’autisme, de sa variété et de son évolution, est un chantier qui, tout particulièrement ces dix dernières années, a mobilisé des acteurs de terrains très différents, si bien que les prises en charge et les suivis des patients reflètent depuis longtemps cette approche pluraliste.
Les méthodes éducatives, ainsi que d’autres vecteurs de communications comme les pictogrammes ou les échanges d’images, sont associés à la psychothérapie dans la plupart des unités et des services ; sans oublier l’orthophonie et la psychomotricité dont l’usage en pédopsychiatrie est central.
La psychopédagogie faisait aussi partie d’un suivi personnalisé et de l’aide indispensable à la scolarisation. Hélas, les coupes budgétaires l’ont désormais fait disparaître des centres pour enfants, y compris de ceux dont la pédagogie était un principe fondateur comme les centres médico-psycho-pédagogiques (les CMPP). La pauvreté de certains services psychiatriques, déplorée par tant de familles, n’est pas un choix des praticiens, et nous souhaiterions tous voir se multiplier les aides, les séances de rééducations et de thérapie.
2.4.2. Les enjeux liés au traitement de l’autisme sont trop importants pour être réduits à une querelle d’écoles.
Hélas, la recommandation, fondée sur les choix doctrinaires effectués par la Haute Autorité de Santé, va, n’en doutons pas, porter un coup fatal à un traitement de l’autisme déjà considérablement fragilisé par la réduction des moyens mis à la disposition des professionnels et des familles.
De façon non exhaustive, nous sommes alarmés par les risques suivants.
(i) D’une part, cette recommandation aura pour effet de modifier drastiquement l’exercice professionnel quotidien des professionnels (chefs d’établissements, chefs de service, praticiens traitants).
Elle va les contraindre :
- soit à renoncer, d’une façon aussi forcée qu’infondée, à une pratique plurielle ou syncrétique ayant amplement fait ses preuves (cf. supra), au profit d’une approche exclusive à laquelle la plupart des praticiens ne peuvent pas adhérer ;
- soit, à défaut, à risquer d’engager, du fait même du caractère impératif de la recommandation – quelque infondé que soit son contenu -, leurs responsabilités disciplinaire et professionnelle, tant il est vraisemblable que la recommandation deviendra pour les profanes (et notamment les juges) la référence quasiment exclusive d’appréciation de la bonne pratique du praticien concerné.
(ii) D’autre part, la recommandation implique une réorganisation profonde des services, bien que celle-ci s’oppose à des obstacles que nous présumons être difficilement surmontables.
En effet, dans un contexte budgétaire très contraint - maintenu à l’identique si ce n’est appelé à se réduire dans les mois à venir -, les services vont être tenus de procéder à la redéfinition des moyens thérapeutiques, avec notamment :
- le licenciement des psychologues d’inspiration psychothérapeutique au profit de l’embauche de psychologues formés aux seules méthodes éducatives et comportementales ;
- la suppression des supervisions d’inspiration analytique, et donc la mise à l’écart des praticiens spécialement en charge de celles-ci ;
- une grosse consommation de ressources (pour mémoire, la méthode dite « ABA » est extrêmement chronophage).
A supposer qu’elle soit sérieusement envisageable en l’état du droit de la fonction publique hospitalière, une telle réorganisation risque d’aboutir à une externalisation du traitement de l’autisme et des TED vers le secteur privé, avec un transfert de charges induit vers celui-ci.
(iii) Enfin, et surtout, sont particulièrement préoccupants les risques que la mise en œuvre de la recommandation pourrait générer pour l’évolution affective de l’enfant, du fait de la rupture du transfert sur les personnes soignantes et du lien de confiance impératif dans les suivis longs que la réorganisation des services susvisée pourrait entraîner.
De même, bien qu’ils soient difficiles à estimer en l’état des connaissances, ne peuvent être sous-estimés les risques pour les patients qui pourraient être attachés à la substitution d’une approche standardisée et monomorphe à la richesse de la relation à autrui antérieure.
Le principe de précaution, qu’il conviendrait d’observer pleinement vu les risques susceptibles d’être courus par nos patients, aurait donc dû justifier une plus grande prudence, et de la retenue, de la part de la Haute Autorité de Santé.
1. 3. Pour toutes ces raisons, l’Association Lacanienne Internationale sollicite le retrait immédiat de
cette recommandation avant que son application commence à détruire ce qui a été patiemment, consensuellement et utilement mis en œuvre par les praticiens depuis des années.
Reposant sur des partis pris contraires à la rigueur scientifique, méconnaissant des pans entiers de la prévention et donc du traitement de l’autisme, jetant la suspicion sur de très nombreux professionnels, et risquant, à très court terme, de désorganiser le circuit de traitement des patients souffrant d’autisme, cette recommandation n’est ni aboutie ni opportune.
En raisons, notamment, des très graves conséquences qu’elle est susceptible d’avoir pour nos patients, nous demandons donc à ce qu’elle soit retirée.
Cependant, à l’instar du professeur Hochmann, nous sommes convaincus que l’adoption d’une recommandation sur l’autisme empreinte d’objectivité et de rigueur scientifiques représenterait une avancée bienvenue en « insistant sur l’évaluation régulière des enfants, sur l’articulation des démarches éducatives, pédagogiques et thérapeutiques envisagées dans une perspective globale et avec une intensité suffisante, sur les dangers d’une juxtaposition anarchique de méthodes isolées et sur la dénonciation des méthodesmiracles ».
A cet effet, nous sommes dès lors pleinement disposés à participer très activement aux travaux à entreprendre pour aboutir à une nouvelle recommandation, et notamment à contribuer à l’élaboration – enfin – de la nécessaire définition des termes et concepts qui sont pour l’heure absentes du rapport ou erronées.
Dans cette perspective, nous sommes désireux de vous rencontrer pour établir ensemble, et avec tous les professionnels concernés, une feuille de route des travaux à effectuer.
Dans l’hypothèse, toutefois, où la Haute Autorité de Santé maintiendrait sa recommandation dans sa version actuelle, soyez convaincu, monsieur le président, que mon association, conjointement avec de nombreux autres praticiens qui n’en sont pas adhérents, mettra tout en œuvre pour obtenir la remise en cause de la recommandation de bonne pratique « Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent », inacceptable en l’état de sa rédaction et de ses effets prévisibles.
Dans l’attente du retrait de la décision n°2012.0015/DC/SBP du 7 mars 2012 portant adoption de la recommandation de bonne pratique « Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent », et subséquemment de cette recommandation,
Je vous prie de croire, monsieur le président, mon cher confrère, en l’assurance de ma confraternelle considération.
Jean-Jacques Tyszler
Pièce jointe : décision n°2012.0015/DC/SBP du 7 mars 2012

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