dimanche 31 mai 1992



Les certificats de G. de Clérambault




Quatre facettes pour mettre en perspective la question du style chez G. de Clérambault.

1. le style des certificats

2. le style de l'entretien clinique

3. le bout de réel entamé et les fictions cliniques

4. le style du Maître et son coût.


1. Le style des certificats
1. Les certificats sur lesquels nous avons travaillé sont les documents rédigés à fin de placements par les médecins de l'Infirmerie spéciale prés de la Préfecture de Police (à Paris) ; nous avons affaire à une pratique spécifique centrée par l'application de la loi de 1838 à la frontière du médical et du légal et produisant une clinique dans le champ de son expérience : citons le délire de persécutions de Legrand du Saulle, mais cette pratique engage ainsi toute une réflexion, tout un débat sur l'assistance aux aliénés, et il est intéressant de savoir que l'ouverture du premier dispensaire d'hygiène mentale en 1924 est dans l'aboutissement de ces questions : ce dispensaire est celui de l'hôpital Henri Rousselle.
Nous avons donc avec six collègues, sous la responsabilité de M. Czermak, archivé en 1985 et 1986 les certificats tous inédits de deux psychiatres : Dupré et Clérambault.
Clérambault couvre une période qui va de 1905 à 1934 avec l'interruption de la guerre, puisqu'il demande à combattre sur le front, puis continue de servir au Maroc.
Il y a évidemment des contraintes pour la rédaction des certificats : une certaine brièveté, des éléments sémiologiques, des éléments diagnostiques mais aussi pronostiques, qui donnent un cadre général au style des médecins certificateurs. Cependant, Clérambault se reconnaît facilement et tout d'abord par la richesse des substantifs employés : mots rares, réduction néologique qui évite les métaphores usuelles, plus généralement suite de mots qui essayent d'approximer toujours au plus près le réel qu'il veut rendre sensible. On a ainsi le sentiment de petites touches ou de petits cercles qui entourent et délimitent ce qui pour tel patient fera trait.
Dans un même certificat, il note par exemple :
Psychose d'influence,
Automatisme mental,
Hallucinations psychiques,
Communication de pensée,
Prise et écho,
Pensées étrangères,
Hallucinations auditives,
Critiques, ordres,
Mesmérisme, (théorie du magnétisme).
Extraordinaire travail de nuances, mais pas au sens de la dispersion que l'on retrouve également dans les certificats concernant par exemple la paranoïa et la jalousie avec un travail sur le mot HAINE ou le rapport entre la jalousie et l'envie. Les voix sont plus particulièrement étudiées : voix énigmatiques, informatrices, fabulatrices, contrariantes, prophétiques, évocatrices, complimenteuses et amoureuses.
On pourrait établir un petit lexique des qualificatifs concernant ces voix.
C'est un style vigoureux au sens où il imprime en permanence à chaque entretien, et nous avons environ 500 certificats par an pour pouvoir en attester, il imprime la marque de ses recherches : les certificats ne sont jamais neutres car Clérambault y glisse les signifiants reliés à sa visée théorique, à son élaboration du moment.
Selon les domaines, les certificats sont néanmoins différents :
Plus longs, plus circonstanciés dans les psychoses passionnelles, l'érotomanie, la paranoïa avec des notations de caractère, des notes sur la biographie ; très ramassés, très concis dans l'automatisme mental aboutissant à une forme d'épure ne rendant compte que des nervures de la structure en cause. Cette différence rend compte du fait que la question moïque n'est pas impliquée de la même manière selon les psychoses.
Les certificats montrent également avec certains patients qui reviennent les différences de style et aussi de visée clinique.
Il y a par exemple de très beaux certificats d'une érotomane vue à plusieurs reprises par Clérambault et par d'autres collègues dont Dupré.
Là où Clérambault dit érotomanie, Dupré dit mythomanie.
C'est aussi un problème qui intéresse le style :
pourquoi un signifiant insiste et s'impose,
pourquoi tel autre est mis en suspens ?
2. Le style de l'entretien clinique.
Je voudrais essayer ici de complexifier les évidences qui touchent au dispositif d'écoute et d'observation.
On insiste toujours sur la dimension suivante : les aliénistes puis les psychiatres se croient en dehors du tableau clinique et si leur clinique est riche, elle n'en est pas moins qu'une clinique du regard.
C'est vrai, et aussi avec Clérambault, mais il ne faut pas rater cette disposition singulière chez lui : cette capacité à amplifier, puis à décomposer le phénomène psychotique, en particulier, dans le registre de la passion, de l'érotomanie et dans le registre du phénomène hallucinatoire.
Pour être dans ce travail de prisme, pour produire cette décomposition spectrale, Clérambault s'inclue considérablement dans l'entretien clinique.
Il accepte de se laisser capter, de se laisser aveugler, de se soumettre à la parole du patient.
Il parle souvent des entretiens dans les articles regroupés dans les oeuvres psychiatriques.
Il nous parle de manoeuvre, d'agitation, d'irritation concernant ses entretiens, surtout ceux avec les érotomanes qui duraient parfois des heures.
On peut parler de regard, mais remarquons surtout combien Clérambault s'ingénie à décomposer le circuit de la parole, et là où celle-ci a structure d'hallucination et mieux structure d'hallucination psychique.
(On pourrait, je crois, reprendre ici, rapprocher cela, du modèle électronique de la Triode où Lacan nous invite à voir la possibilité d'amplification du discours inconscient).
3. Le bout de réel entamé et les fictions cliniques.
Le style de l'entretien et le style des certificats, cet aller et retour entre observation et rédaction produit ce que chacun peut lire dans les articles de Clérambault, c'est-à-dire une nouvelle mise en équation de certaines structures délirantes et des recherches sur le
déclenchement des psychoses, sur le mécanisme de l'allusion, sur la formalisation de l'automatisme mental, etc.
Formalisation d'ailleurs audible, uniquement avec des outils d'aujourd'hui, les outils que nous laisse Lacan, car je crois que certaines notations comme la distinction de lieu entre hallucinations psychiques et hallucinations accoustico-verbales ne peuvent s'attraper et se travailler que par le Lacan de la Topologie.
Le bout de réel entamé c'est aussi bien entendu ce qui s'éclaire du cadrage de l'érotomanie et qui fait en un sens définitif : l'érotomanie est pour nous celle décrite par G. de Clérambault.
Cette capacité à rendre accessible à l'analyse des objets nouveaux : c'est ce bout de réel entamé. Et la façon de Clérambault est de poursuivre contre vents et marées, critiques et sarcasmes, rejets et malentendus, (je vous renvoie au Lacan de la thèse de 1932), de poursuivre l'écriture de FICTIONS comme celle de l'érotomanie pure.
A partir de ces fictions est permis que se dévoile, s'écoute ensuite, la diversité clinique et l'atypicité qui bien sûr est la règle.
Ce n'est pas un débat de savoir ou de forme, et Clérambault ne s'obstinait pas sur le terme automatisme. C'est la capacité à éclairer au sens littéral des configurations cliniques et à resserrer leur formalisation, à épurer, styliser leur chiffrage, ce que Clérambault nomme les constantes. Capacité à couper aussi dans des débats pas trop psychologiques pour révéler la structure en cause.
Il y a vraiment là dans ce travail d'épure, un certain rapport avec le réel.
J'ai insisté précédemment sur la variété des mots employés dans les certificats, mais la notation principale est plutôt du côté de la réduction opérée dans le champ des signes et des syndromes : Clérambault empêche que la clinique soit divisible à l'infini.
Si vous lisez le délire amoureux de Kretschmer ou les Idéalistes passionnés de Dide, c'est une clinique d'une grande variété, mais qui peut s'étendre concentriquement à l'infini : de syndrome en syndrome.
Clérambault fixe et particulièrement avec l'érotomanie des formes qui ne s'offre plus à la division même si elles permettent de lire la diversité.
Il ne faut pas forcer les choses néanmoins, et Clérambault lui-même est embarrassé avec certain
regroupement, certain nouage comme celui des psychoses passionnelles et cette difficulté n'apparaît pas dans les articles et conférences, mais précisément dans les certificats.
4. Le style du Maître et son coût
On dit souvent en parlant de Clérambault : le "Maître de l'infirmerie".
Par certains côtés, il occupe cette place du Maître, et je crois que c'est repérable dans ce qui était dit précédemment.
Mais, il faut colorer un peu le qualificatif :
- Clérambault n'est pas dans le progrès de l'époque : il n'est pas pour le psychologisme, même pas pour un psychodynamisme habituellement partagé (je ne parle pas des idées freudiennes).
Il ne fait pas de distinction entre le fond et la forme. Il n'y a de vérité que dans la forme et ces cours sur le drapé arabe donné à l'Ecole nationale des Beaux-Arts mettent bien en évidence sa méthode.
- Clérambault récuse aussi les filiations d'idée (cf. sa polémique à propos de Dide), et il est vivement attaqué par d'excellents collègues : Capgras, Claude, Hesnard au moment même des élaborations théoriques qu'il produit.
Le célèbre Congrès de Blois consacré à l'automatisme mental est une reconnaissance et un enterrement.
Il est, au moins, dans un premier temps rejeté par certains de ses assistants : Lacan (notes très acérées dans la thèse de 1932).
Il est aussi je crois dénaturé par ceux qui forts de leur autorité, écrivent l'histoire de la psychiatrie et des concepts : Henri Ey.
C'est un Maître vécu comme anachronique, hors d'époque, atopique.
Le coût, le prix payé d'une clinique résolue, Clérambault l'expérimente dans sa vie, sa trajectoire, mais il faut, pour nous, entendre aussi cela du côté du transfert car il y a sûrement un coût à une clinique si inquiète de production de savoir.
A la fin du séminaire, l'Insu que sait... Lacan conseille qu'on ne s'arrête pas au fait que Clérambault a inventé un jour l'automatisme mental, mais il n'empêche son étonnement demeure : Dieu sait comment il a trouvé ça !, comment ce clinicien a-t-il une sensibilité si fine à la question de la voix ?
Il faut tout de même noter que ce fameux automatisme mental devient avec Clérambault lui-même :
syndrome d'écho, syndrome d'automatisme, syndrome mécanique, voir syndrome S.
Le style de Clérambault c'est peut-être surtout cette capacité à se rendre assez transparent pour se faire disons l'écho de cet objet qui gravite dans le champ de l'entretien et de l'échange.

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