lundi 9 novembre 2009


Sujet d'une histoire, sujet de l'Histoire


Nous oublions à mesure, mais nous savons rarement à la mesure de quoi. Un effet de vérité sur notre propre histoire, notre roman familial, ordonne le plus souvent un refoulement immédiat. Chaque analysant a fait l'expérience de ce mécanisme.
Nous avons pour une fois entendu comme jamais nous avions entendu et cette déchirure dans notre habituel monoïdéisme, il nous faut en refermer les berges sans attendre.
Ainsi, nous avions déjà reçu le propos de Charles Melman, Problèmes posés à la psychanalyse que la publication par les éditions Erès en livre de poche redonne à notre oublieuse mémoire.
Nous conseillons en guise de préparation au colloque la lecture des pages 58 à 66, puis 185 à 190. S'y trouvent questionnés les termes difficultueux de sujet de l'histoire et sujet du traumatisme dans leur lien au fantasme et à la répétition.
"Une histoire, ce n'est jamais qu'une succession de traumatismes".
Quand nous pensons à notre façon de nous raconter l'évidence est effectivement là : depuis l'enfance, nous égrenons des évènements qui nous semblent colorer d'une tristesse singulière notre destin ; nous avons été mal désirés, mal aimés, mal éduqués, soumis aux caprices et aux aléas de la santé comme de la fortune. Ainsi apparaît un sujet dans et de l'histoire ; puisque j'ai été ainsi mal accueilli eh bien dorénavant "on me doit !"
Cette position de préjudice, de ressentiment et de revendication, ce "on me doit", vient se superposer et peu à peu remplacer l'habituel "on bat un enfant" de la construction fantasmatique tel que Freud en parle.
Si un petit scénario est en partage, l'issue pour la subjectivité est très différente : d'un côté j'ouvre la voie au mystère de l'objet du désir et à l'entrée aussi dans les jouissances, sexuelle au premier plan ; de l'autre côté je referme ma lecture sur ce qui de ma singularité rejoint mon clan, ma collectivité, ma classe sociale voire ma nation.
C'est à cet endroit que gît l'épineuse question du traumatisme telle que Charles Melman le souligne : "ce que l'on reconnaît peut-être moins à propos du traumatisme et de l'automatisme de répétition qu'il engendre... rien ne nous empêche de penser que ce que cherche cet automatisme, ce processus pulsionnel, c'est que ce coup un se répète".
Faute d'un appui sur la dimension du fantasme, nous privilégions ou nous sommes obligés de choisir une nouvelle naissance subjective, un "néo-sujet", celui du traumatisme.
Ce déplacement du fantasme vers le traumatisme est un des grands changements dans notre clinique d'aujourd'hui.
Restons prudents car ceci ne soulage pas, bien au contraire, de devoir examiner avec le plus grand sérieux ce que nous nommons traumatisme, d'en évaluer les conséquences, d'une génération sur l'autre voire sur la troisième génération.
Dans Problèmes posés à la psychanalyse bien des choses continuent et heureusement à faire problème. Ainsi nous avons été surpris de l'interprétation proposée concernant des textes de Freud issus du heurt de la grande guerre. Nous avions retenu de "l'effroi", terme que Freud utilise pour redéfinir le traumatisme, sa déliaison essentielle avec toute sexualisation : répétition de lettres portant la mémoire d'un coup non imaginarisable, non symbolisable, indialectisable dans l'érotique du corps.
A cet endroit Charles Melman propose une lecture inversée : "...ce que Freud avait si remarquablement repéré en 1919 au lendemain de la première guerre mondiale : la libidinisation du coup".
Si le fantasme est mémoire de l'inconscient, le traumatisme serait la mémoire de quoi ?
Nos journées nous permettront d'avancer sur tous ces points encore au travail et en débat, en particulier grâce à la présence de ceux qui font profession de l'Histoire, mais également de ceux qui ont mis en valeur l'indispensable transmission du témoignage.
Nous essaierons peut-être d'aller un peu au delà des généralités mille fois répétées sur la "banalité du mal".
Si pour finir provisoirement, le traumatisme est comme le propose Charles Melman la rencontre avec tout trait un dans l'Autre sans médiation par l'instance paternelle ; que dire alors si nous devons prendre en compte le déclin qui va s'accélérant de cette nécessaire métaphore ?
Faudra-t-il dire en paraphrasant le dernier ouvrage d'Imre Kertesz le traumatisme comme culture ?

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