mardi 27 janvier 2009



Relire Freud



Pierre-Christophe Cathelineau : Jean-Jacques a souhaité dans le cadre du séminaire sur La déontologie du rapport au texte traiter de la question du rapport à Freud. Et donc effectivement la question de la lecture de Freud nous semble particulièrement bienvenue dans ce travail puisque c'est bien une question déontologique que de savoir quelle est, quelles relations se nouent entre nous et le texte de Freud du point de vue de la transmission.
Jean-Jacques Tyszler :... je vais essayer d'avancer quelques fils. Au fond d'ailleurs, la proposition pratique principale qui en découle c'était en principe une proposition qui a déjà existé quand nous sommes passés d'Association Freudienne à Association Lacanienne, c'était que de temps en temps nous nous réunissions autour d'un texte de Freud avec des collègues germanistes. Pour ceux qui étaient là ils s'en souviennent. Et je pense qu'il faut que nous soyons à hauteur de ce projet. Il faut que nous reprenions ensemble, on pourrait le faire, prendre un samedi de temps, demander à nos collègues allemands, les rares collègues allemands, suisses allemands, luxembourgeois, quelques collègues germanistes français de venir travailler sur, à partir d'un texte de Freud. Je crois que c'est la meilleure façon de donner une suite à ce qui serait une véritable déontologie, dans l'Association, de notre rapport au texte de Freud.
Le fil que j'ai pris concernant "Relire Freud" et le choix, moi je suis un peu comme Pierre-Christophe, j'essaye de penser les choses à partir du nouage, du tissage, des trois fils borroméens Imaginaire, Réel et Symbolique. Et je pense que nous avons à faire la promotion de cet outil, qui est une métaphore mais qui est également un outil, même si actuellement nous sommes plutôt dans des travaux effectivement de logique, de logique pure et jusqu'aux impasses, aux paradoxes de cette logique.
Donc je voulais vous proposer d'interroger, ça sera évidemment un propos qu'on pourra reprendre ultérieurement, d'interroger Freud, relire Freud à partir de ces trois dimensions. Donc ce qu'on pourrait appeler une dimension imaginaire, une dimension symbolique et une dimension réelle qui est la plus difficile. Laquelle ? C'est-à-dire qu'est ce que lire Freud à partir de la dimension promue par Lacan de l'impossible et du Réel ?
Dimension imaginaire. La dimension imaginaire de la lecture, je pense qu'on peut en donner des définitions plus générales qui ne concernent pas que la psychanalyse. Souvent on dit que quand nous lisons un auteur : il faut le contextualiser. Je ne parlerai pas de l'Imaginaire dans son mauvais versant, à savoir je ne parlerai pas des résumés qui sont faits de Freud, la façon de le traiter à la va-vite à partir de Lacan, sans le lire lui-même par exemple, ou même je ne dirai rien non plus d'une autre forme d'Imaginaire qui est une forme de complétude qui sont des travaux qui sont intéressants, qui sont de traduction de Freud qui sont là quasiment en quelque sorte, à la lettre effectivement et dont la littéralité est tellement ample qu'on peut passer une vie sans sortir de Freud. On comprend combien, on peut rester à Freud sans avoir le temps de passer à Lacan. Là, je pense aux très belles éditions qui sont sorties de ce groupe du côté de l'IPA qui a fourni des textes magnifiques. Mais quand vous rentrez dans ces textes vous n'aurez pas le temps d'en sortir, c'est une vie entière. Donc ça c'est une forme de l'Imaginaire qui est intéressante, mais je ne vais pas parler de celle-ci.
Contextualiser : ça pourrait être de se demander, je vais le développer un peu, avec qui Freud dialogue-t-il ? Quand Freud écrit, avec qui travaille-t-il ?
Il y a une dimension qui est très moderne, pour ceux qui s'occupent de textualité, qui est une dimension qui relie l'Imaginaire et le Symbolique qu'on peut appeler : intertextualisée.
Il y a beaucoup de gens qui parlent aujourd'hui de l'intertextualité. L'intertextualité c'est-à-dire l'obligation à faire jouer un texte avec un autre, c'est-à-dire ne jamais se satisfaire d'un texte en soi. L'autre fois, notre ami israélien a fait tout un passage sur l'intertextualité, c'est-à-dire il a bien expliqué que les commentateurs de la
Bible effectivement ne travaillaient jamais un morceau à soi seul, c'est-à-dire chaque morceau est mis en rapport, dialectique, avec tout autre morceau du même texte.
Intertextualiser, nous fait passer à une dimension d'avantage symbolique où il me paraît important de relever deux étapes pour ce qui est de notre rapport à Freud qui sont d'une part, ce qu'on peut appeler le travail de nomination d'invariants. C'est-à-dire, vous avez tout au long du texte freudien une série de nominations d'invariants de la clinique. Ça paraît rien mais c'est énorme puisque vous-même encore maintenant vous dites névrose - psychose et perversion, même si vous rajoutez états-limites, et nouvelle clinique. Mais néanmoins assez bizarrement la force de frappe de la nomination freudienne a été de rendre, par les textes, transmissible un certain nombre d'invariants ; de la même manière quand vous dites refoulement - forclusion et déni. Et donc il y a là une dimension qui me paraît très importante dans notre étude de Freud qui est aussi problématisée par Lacan qui est : ce qu'il se passe quand le signifiant est élevé, apparemment, au rang du "concept" ? C'est-à-dire qu'on parle de "concept freudien", comme de "concept lacanien". Dans notre champ par exemple pour vous donner une idée que vous avez tous vécue : est-ce que à partir des travaux de Marcel à Sainte-Anne, ensuite ça a migré dans toute une série de débats, est-ce que vous acceptez que le signifiant, qui n'est pas nouveau, mais qui est élevé, celui de la récusation, soit élevé dans la doctrine au rang de "concept" par exemple ? Vous voyez, on a eu des débats là très récents sur le terme, sur l'impact du terme récusation est-ce qu'il est élevé au rang conceptuel ? Donc comment un signifiant qui n'est pas nouveau d'un point de vue sémantique, fait signifiant nouveau dans une doctrine ?
Pour Lacan, c'est un peu plus compliqué puisqu'en dehors des signifiants nouveaux élevés au rang de "concept" il y a aussi toutes ces places particulières de ce qu'il a appelé les mathèmes et là qui ne sont plus des signifiants mais qui sont des jeux de lettres, effectivement. Donc ça c'est pas tellement dans Freud, c'est propre à Lacan qui est d'élever à la dignité de quelque chose un certain nombre de lettres : a, A, ?, S1, S2, etc. ...
Troisième dimension, sur lesquelles je reviendrai, donc : la dimension réelle. Et là elle est pour nous à mon sens plus difficile. Elle est plus difficile parce que nous ne pouvons pas y aller simplement de notre petit narcissisme. Donc je vous indiquerais deux occurrences en suivant Lacan lui-même lecteur de Freud. Comment Lacan s'y prenait en quelque sorte pour déplacer réellement le texte freudien.
Contextualiser. Contextualiser c'est ce que nous faisons à l'occasion pas toujours. C'est ce que nous essayons de faire quand nous travaillons le séminaire d'été, de Lacan. Contextualiser c'est une question qu'ont souvent posée les philosophes. C'est-à-dire avec quoi et avec qui Freud lutte-t-il ? Je crois que c'est mieux de le dire comme ça, c'est-à-dire quels sont les faits, quels sont les faits avec qui lutte-t-il quand il propose tel ou tel article, serait-il de clinique ? Puisque quand Freud travaille, analyse, cherche, écrit, il est comme vous le savez, au moment même, toujours soucieux et au plus haut point de batailler. Freud est un batailleur, il bataille. Il bataille sur quoi ? Il bataille en permanence sur ce qu'on peut appeler les fondamentaux de la psychanalyse. Sa science, pour finir, la jeune science de l'inconscient. Ce qui fait que quand vous les reprenez avec sérieux vous vous apercevrez que tous les textes freudiens même ce qui apparaît comme analyse de cas simplement, sont pris dans des débats, des polémiques et Freud, il le dira lui-même, se doit de ne lâcher sur rien. Vous connaissez l'adage freudien : Céder sur les mots c'est céder sur les choses.
Pour ceux qui en ont le souvenir, quand nous avons travaillé, c'est Claude qui avait proposé, Claude Landman, qu'on reprenne le cas complexe de L'Homme aux loups, il y a un an et vous vous rappelez de l'obstination de Freud à trouver coûte que coûte la confirmation de sa thèse sur la scène primitive. Si vous l'avez en mémoire ce cas de L'Homme aux loups, vous vous rappelez cette obstination tout à fait incroyable, de Freud tout au long de son travail dont on a trace évidemment dans les articles qu'il donne, de voir confirmer cette thèse qui lui est si importante qui concerne la scène primitive et qui nous pose encore maintenant, si vous vous posez la question à vous-même aujourd'hui vous aurez peine à y répondre. C'est-àdire : comment un enfant d'un an et demi est-il capable de recueillir des perceptions relatives à un tel événement et de plus de les conserver si fidèlement dans sa mémoire ? L'Homme aux loups avait un an et demi au moment où Freud fixe l'observation de la scène primitive. Mais la question pour Freud est un peu
décalée puisque le Freud de l'époque, de cette époque est en guerre avec Jung comme vous le savez, sur le coeur même de la psychanalyse, et Freud ne veut pas de la phylogenèse de Jung, des grands archétypes et autres explications que l'on pourrait appeler maintenant ethnosociologiques. Freud veut prouver, il veut à toute force prouver le facteur infantile, traumatisant et ouvrant à la dimension du fantasme.
Et donc Freud le dira lui-même comme tel, il dira ceci c'est une citation très courte, il dit : "on se trouve alors confronté à la tache de trouver un cas susceptible d'établir sans aucun doute cette importance. Le cas morbide de l'Homme aux loups est justement un tel cas" dit Freud. Vous voyez la contextualisation, c'est-àdire que l'étude de cas est toujours et comme tous les travaux freudiens sont entourés d'un certain nombre de choses qui sont la plupart du temps la façon dont Freud lutte tout simplement. Il lutte, il lutte sur un certain nombre de problèmes cruciaux, de problèmes fondamentaux.
Contextualiser vous pouvez l'élargir et là je ne le ferai pas, parce que je l'avais repris un peu pour le Groupe de Fez. Contextualiser c'est aussi se demander : quel est l'Autre de Freud ? Son grand Autre. C'est-à-dire Freud il travaille avec quoi pour finir, quel est son Autre ? Je veux dire par là au sens du trésor de ses propres signifiants. Le lieu d'où il reçoit ses propres interrogations, ses messages. Donc j'en avais parlé un peu à Fez justement, qui est donc: la question pour Freud, on le sait, on le sait à peu près, on sait qu'il y a la question de la langue, la question de la langue allemande très importante pour Freud, qui est si vive, alors c'est pour ça qu'il faut travailler avec des collègues germanistes, si riche dans la finesse du texte freudien luimême et de ses nuances, qui n'apparaît pas toujours en français. Bizarrement chez Freud les grands mythes comme on le sait, les grands mythes grecs, l'histoire romaine et probablement l'Autre refoulé qui est donc sa judaïté, ça dessine déjà une forme de panorama qui sert donc de contexte. Quel est, qui est l'Autre de Freud, l'Autre freudien ? C'est-à-dire inconsciemment avec quoi Freud lutte-t-il ? Ce n'est pas simplement ce qui l'entoure mais avec ses propres messages.
Alors, Ali Magoudi m'avait demandé : mais est-ce que tu pourrais dire aussi facilement pour Lacan ? Quel est son Autre ? Et c'est vrai que c'est pas simple ! Alors ça, vous vous exercerez vous-même ! ça m'a posé un certain problème effectivement de me demander : est-ce qu'on peut dire pour Lacan aussi facilement - quel est son Autre ? On connaît le riche parcours de Lacan dans la psychiatrie classique bien sûr, dans la philosophie. Là, depuis quelques années, nous semblons présenter l'Autre de Lacan comme les grands logiciens. C'est une réponse. Est-ce que son Autre c'est vraiment tous les logiciens qui vont d'Aristote à Frege ?
Intertextualiser, c'est s'obliger à mettre en relation, pour tel signifiant que vous élevez au rang du concept, les différents moments de l'élaboration freudienne. Pourquoi je dis ça ? Mais parce que, il y a chez Freud le même souci que nous rencontrons chez Lacan, c'est-à-dire il y a chez le penseur de l'inconscient, la plupart du temps, plusieurs versions du même signifiant. C'est pour ça que c'est embarrassant les versions raccourcies, synthétiques, voire les dictionnaires de psychanalyse. Parce que évidemment ça vous fait, on y participe tous aux dictionnaires de psychanalyse, la question n'est pas là, évidemment ça vous fait oublier qu'il n'y a pas chez Freud tel signifiant - telle définition - tel concept. Il y a la plupart du temps, concernant les grands concepts entre guillemets "freudiens", plusieurs versions du même, du même travail.
Ce qui est vrai chez Lacan aussi bien... Il y a plusieurs versions du même signifiant maître ou ce qu'on pourrait appeler les grands signifiants de fondation. Et je vais vous en donner un petit exemple que j'avais repris très rapidement au séminaire sur Les Mémoires concernant le traumatisme par exemple.
Et donc ces questions de l'intertextualité ouvrent à une seconde dimension qui est plus symbolique là qu'imaginaire. C'est donc comment nous faisons pour suivre Freud quand il nomme cliniquement des invariants ? Parce que c'est ce que fait Freud, il donne appui à des invariants de la clinique. Et dans le mouvement suivant comment nous faisons néanmoins pour garder les choses un peu équivoques. C'est-à-dire comment nous faisons pour laisser ouvert le même signifiant avant qu'il ne sédimente par trop ? C'est-à-dire comment nous faisons pour lui garder sa puissance de relance ? Au gré des circonstances de la vie qui plient toujours le lecteur de l'inconscient à des dimensions inattendues, jamais entrevues jusqu'alors. Pour vous
donner un exemple, mais rapidement : le mot - traumatisme -. Alors si vous demandez à un jeune, à un jeune du Collège, vous lui dites bon tu vas chercher qu'est-ce que Freud appelle le traumatisme ? Eh bien il va vous trouver tout de suite une réponse. Il suffit qu'il ouvre les Études sur l'hystérie par exemple et bien il va dire : c'est pas compliqué, ce que Freud appelle là traumatisme c'est simplement un fait tout à fait réaliste. C'est-à-dire un fait qui est arrivé dans la vie de quelqu'un lorsqu'il était enfant. Et donc dans tous les exemples de Freud dans les premiers textes, en particulier à partir des Etudes sur l'hystérie : c'est une séduction sexuelle, c'est un attouchement, quelque chose au fond qui va toucher à la dignité du sujet. Donc Freud effectivement appelle, à cette époque, traumatisme ce fait réaliste là. C'est comme ça. Ce qui est intéressant, comme vous le savez c'est que très vite Freud n'en reste pas là. C'est-à-dire que Freud il dit ça et en même temps si vous demandez à un jeune de continuer sa lecture, il va dire : tiens c'est bizarre. Et Freud va convoquer une notion qui est plus complexe qui est celle de nachträgilch. C'est-à-dire, celle d'après-coup. Il va appeler traumatisme, non plus le fait précis là, de séduction ou d'attouchement mais il va dire quelque chose qui est assez compliqué à comprendre, immédiatement, c'est qu'un événement traumatique va répéter quelque chose qui n'était pas. C'est intéressant ça. Vous voyez, c'est-à-dire qu'il joue lui-même du même signifiant mais qu'il continue à faire travailler. Formulation intrigante mais les exemples classiques de Freud se réfèrent à ce moment-là toujours à la menace de castration et Freud dit par là que l'enfant petit, très petit découvre l'absence de pénis du sexe féminin, représentation qu'il n'a pas les moyens intellectuels, en quelque sorte, de soutenir. Ça reste comme ça en l'air, une vacuole. Et quelques années plus tard, quelque chose, quelques années plus tard quelque chose va surgir dans le champ de la représentation de cet enfant. Ce quelque chose ça peut être le sexe d'une petite copine qu'il a vu à l'école maternelle ; ça peut être des choses beaucoup plus simples une pilosité, des cheveux ; ça peut être des équivalents, enfin, métaphoriques comme un serpent etc., etc. Et ce que dit Freud à ce moment-là, c'est que c'est ça qu'il va appeler à ce moment-là - traumatisme, c'est ce qui va répéter, Freud dit - cette représentation va répéter ce qui avait été oublié par l'enfant, nachträglich - l'après coup. Ce temps que Freud appelle traumatisme accouchera comme vous le savez d'un troisième temps, mais là je ne vais pas le développer, qui est le temps signifiant symptomatique. C'est-à-dire il va développer, eh bien quoi ? une phobie, un symptôme, un déni.
Alors voyez, immédiatement quand vous lisez Freud vous vous rendez compte que les mots, les mots chez Freud ne sont pas des mots théoriques en quelque sorte. A ce titre il raisonne un peu comme raisonnaient les Grecs, c'est-à-dire les mots sont les mots de la pratique, ce sont les mêmes. C'est-à-dire, il n'y a pas de division entre la praxis, ce qu'on appelle praxis et théorie. On peut dire que la praxis est la forme de la théorie. Ce que je veux dire par là c'est la question du traumatisme évolue en lui parce qu'il se pose à lui des difficultés de technique dans le suivi des cures. Le premier Freud, vous savez, c'est celui de la dissolution du symptôme. Freud est tout content de constater que quand ce qu'il appelle une forme de vérité, tombe en quelque sorte sur la raison traumatisante, le symptôme se dissout. C'est le Freud des Études sur l'hystérie, cela va durer quelques années de sa pratique et le même Freud va se déclarer au bout d'un certain temps déçu, ça ne marche plus, ça ne fonctionne pas. C'est-à-dire que la vérité, là, révélée, sur le symptôme ne marche pas quelque chose vient contredire ce qui avait été là dans un premier temps élaboré sous le concept de trauma, la fonction du trauma. Vous voyez donc Freud se déplace, c'est ça qui est très intéressant, Freud se déplace lui-même avec son signifiant pour le coordonner aux effets de la praxis elle-même, il ne se laisse pas intimider par la sédimentation du concept. C'est pour vous alerter sur la façon dont nous-même nous accordons bien souvent une définition "conceptuelle", comme nous disons, à des signifiants mais qui d'un certain point de vue ne sont que des mots de la pratique comme telle, il faut faire attention à ce que nous sommes en train de dire. Ce sont des métaphores de la praxis.
Freud comme vous le savez ne s'en arrêtera pas là, là je vais vite parce que j'en ai beaucoup parlé au séminaire sur Les mémoires mais à mon sens le relief du signifiant sédimenté, je veux dire la valeur que nous devons accorder chez Freud au terme de traumatisme, il faut attendre Au-delà du principe de plaisir 19191920, les dates comptent, pourquoi ? Je disais toute à l'heure que la vie apporte des choses évidemment qui sont inouïes, inusitées. Les dates comptent puisque Freud vient de vivre quelque chose qu'il appelle luimême l'effroyable. Nous venons de sortir de ce que nous appelons - la Guerre des tranchées. Et là Freud le dit dans ses textes, moi j'étais parti de l'hystérie de la séduction sexuelle mais ce que nous venons de voir, là,
dans le champ de l'Histoire, ce qui s'est produit, je suis face à quelque chose qu'il me faut nommer à nouveau et autrement ! C'est-à-dire que je ne peux pas mettre en adéquation simple sous le même vocable, comme ça, des éléments de l'hystérie et ce qui se produit comme effroi dans le siècle et la Culture. Et là il faut, et c'est pour ça que quand nos collègues germanistes sont là c'est différent ; parce que pour des collègues allemands la question du schrecklich, schreck - l'effroi, seuls les Allemands pourraient nous dire, combien le signifiant que Freud nous propose - l'effroi, Freud le propose comme signifiant pour décrire chez le vivant ce fracas là. Celui issu de ce qu'il a vécu avec d'autres après la guerre, pendant la Guerre des tranchées. Freud dit : écoutez, l'effroi ce que j'essaye de nommer à nouveau pour vous du traumatisme, ce n'est ni l'angoisse ni la peur, c'est autre chose, c'est d'une toute autre dimension, d'un tout autre acabit. Freud se retrouve dans l'obligation de subsumer en quelque sorte la notion du signifiant qu'il avait acquis jusque là - le traumatisme. Il se trouve dans l'obligation d'aller chercher un signifiant qui pulvérise les coordonnées habituelles dont nous nous servons, pour décrire avec modestie ce que nous nommons usuellement traumatisme. Pourquoi Freud dit que ce n'est pas l'angoisse ? Parce que l'angoisse a toujours une relation avec le désir, elle prépare le sujet. Il dit ce n'est même pas la peur, parce que la peur elle-même a toujours un objet. C'est autre chose, l'effroi. C'est autre chose qui ne se laissera pas, ça c'est très important, qui ne se laissera pas symboliser. C'est-à-dire vous aurez beau faire, eh bien ça ne sera pas comme la dissolution du symptôme hystérique. Vous n'y arriverez pas. Et bon pour ceux qui aiment bien l'exégèse vous verrez qu'en 1964 dans son séminaire Lacan reprend au même point, c'est-à-dire qu'il reprend exactement la question de Freud sans d'ailleurs au moment même pouvoir en dire énormément plus. Si vous reprenez le Lacan de 64 qui se demande mais qu'est-ce que c'est ce Réel du traumatisme ? Pour finir il reprend presque in extenso la butée de Freud et ne conclut pas très au-delà, sauf sur la distinction que Freud avait déjà établie névrose et fantasme d'un côté, traumatisme de l'autre. C'est ça la butée que Lacan reprendra à sa façon que d'ailleurs pour nous-même nous avons tendance à oublier au fur et à mesure, c'est un oubli que nous faisons souvent que de remettre le traumatisme dans le fantasme et vice-versa.
Voyez, donc ça c'est ce que j'appellerais, c'est un travail qui est à mon sens nécessaire, qui est très beau, que Freud produit lui-même, que Lacan produit souvent qu'on pourrait appeler et là c'est par emprunt de culture c'est par un travail d'intertextualité. C'est-à-dire ne jamais se satisfaire d'une définition encyclopédique d'un signifiant de la psychanalyse, d'un "concept" comme on dit entre guillemets, mais au moins aller chercher chez l'auteur le jeu libre qu'il a ordonné à ce même signifiant tout au long de son travail. Et vous vous apercevrez que sur tous les grands "concepts" c'est toujours comme ça. Il y a par exemple pour Lacan plusieurs traductions de l'oedipe, enfin je veux dire, tous les grands sédiments de la psychanalyse sont sans arrêt repris et rebattus tout au long du travail de la psychanalyse et de ses difficultés techniques, c'est-à-dire de ses difficultés de praxis. C'est pas que des idéalités. Ça c'est un travail qui n'est pas si difficile, c'est un travail disons d'honnêteté simplement, de reprendre la totalité de l'oeuvre et non pas simplement certains passages.
Le troisième point que je souhaitais solliciter avec vous, c'était peut-être le point, bien entendu, le plus ambitieux et le plus complexe et qui est donc la question de la dimension réelle, l'impossible. C'est-à-dire pour le dire autrement : comment au fond relire Freud en gardant à l'esprit non seulement ses dimensions imaginaires, non seulement ce qui est déjà beau ses dimensions symboliques, c'est-à-dire la richesse de l'équivocité du travail signifiant mais éventuellement avec la troisième dimension que Lacan sollicite qui est donc celle du Réel, de l'impossible.
Alors deux exemples, deux exemples sur cette dimension du terme d'impossible. D'abord juste un petit mot, vous savez que Lacan a pu dire que l'oeuvre principale de Freud était le Totem et Tabou. Je pense qu'on pourra dire éventuellement que son héritage incontestable bien que diffusé en pointillé est effectivement du côté du noeud borroméen.
Si Lacan dit pour Freud Totem et tabou, je crois qu'on pourrait dire, sur un mode aussi lapidaire, je crois qu'on pourrait dire pour Lacan au fond, pourquoi pas, dire Le noeud borroméen. Entre ces deux moments cruciaux, ce qui est intéressant c'est que, entre ces deux moments logiques s'élabore et se transforme précisément le terme d'impossible ; et la catégorie qui lui est liée : le Réel. Et on peut penser que Lacan reste
d'un certain point de vue fidèle au Totem jusqu'au séminaire Encore effectivement. Pourquoi je dis ça ? Au moins parce que l'un en plus reste nécessaire. L'un en plus demeure nécessaire et est articulé avec la fécondité que l'on connaît. À partir de R.S.I. on rentre dans une zone qui n'est plus balisée par ces questions et le Réel n'est plus en position maîtresse et va se détacher totalement de son origine soit mythique soit traumatique alors j'hésite à dire religieuse, parce que là c'est un autre..., il faudrait y aller plus modestement.
Comment Lacan fait-il à partir de ces dimensions du Réel et de l'impossible pour déplacer la lecture freudienne ? Comment fait-il ? Regardons par exemple la dimension du symptôme. Quand même parce que le symptôme, s'il y a quand même un maître mot de la psychanalyse, c'est pas rien ? Quand vous expliquez à un enfant ce qu'est la psychanalyse, il va vous venir quoi ? Par exemple un symptôme, je veux dire c'est un des maîtres mots, c'est le b-a ba de Freud pour débutant. Et c'est quand même assez intrigant parce que sur la dimension sacrée du symptôme Lacan produit en quelque sorte un déplacement de première main puisqu'il va situer l'origine du symptôme du côté de Marx. En en imposant son caractère structural, c'est-à-dire il dit : le symptôme n'est ni accident ni maladie, c'est une satisfaction paradoxale, une jouissance qui fait valoir l'impossible du rapport entre les sexes. Et donc c'est une définition assez novatrice que propose Lacan tout d'un coup puisqu'il dit : vous savez ce que vous appelez symptôme depuis toujours ce n'est que la tentative toujours répétée pour masquer, pour cacher, pour invalider cette impossibilité du rapport sexuel. Alors voyez ça c'est intéressant, c'est-à-dire qu'il se saisit d'un mot archi sacré de la psychanalyse, symptôme, et il fait jouer à l'intérieur de ce mot la catégorie qui l'intéresse qui est donc la catégorie de l'impossible, d'où les aphorismes bien connus sur la question du rapport sexuel.
Vous remarquerez que Lacan, là, renouvelle effectivement la lecture des études à la fois des Études sur l'hystérie où le symptôme reste non seulement conséquence du refoulement sexuel mais où la solution du symptôme est tout simplement sa dissolution. Ça c'est très important dans l'histoire de la psychanalyse. C'està-dire que quand vous expliquez Freud à des débutants, effectivement, d'un certain point de vue ils s'attendent à ce que la psychanalyse soit la science de la dissolution du symptôme. C'est encore difficile à expliquer autrement à des gens qui ne vivent pas ici, là comme nous au coeur d'une Association. "Lösung ist auch Auflösung" disait Freud .
Mais Lacan, ce qui est intéressant c'est que Lacan quand il produit un écart comme ça, par rapport à la mythologie freudienne concernant y compris les valeurs les plus sacrées du signifiant - le symptôme, néanmoins, c'est ça que je souhaitais vous dire, Lacan reste néanmoins un lecteur qu'on va dire confiant en Freud. Et il est confiant dans le travail de mise en perspective du texte freudien lui-même.
Pourquoi je dis ça ? Parce que Lacan, autre aphorisme célèbre va nous dire, et c'est un travail qui va se poursuivre jusqu'à la fin de son oeuvre, aphorisme du type la guérison vient de surcroît, c'est-à-dire savoir y faire avec son symptôme, enfin toute une série de choses qui sont développées, là, considérant les questions de fin de cure, formule qui est assez tardive chez Lacan L'insu-que-c'est, c'est un séminaire assez tardif où Lacan envisage le symptôme comme : savoir faire avec, savoir le manipuler. Mais ce qui est intéressant c'est que cette terminologie n'est pas une invention de Lacan, c'est une traduction du texte freudien. C'est une traduction d'une lecture du texte de Freud qui est dans Psychanalyse et théorie de la libido où Freud indique : "l'élimination des symptômes de souffrance n'est pas recherchée comme but particulier mais à condition d'une conduite rigoureuse de l'analyse, elle se donne pour ainsi dire comme bénéfice annexe" dit Freud. Voyez, la guérison de surcroît. C'est-à-dire Lacan fait confiance à Freud. Il lit, il lit tout Freud si je puis dire, il lit Freud avec confiance. Il ne s'arrête pas au Freud de la dissolution du symptôme. Il va lire comment Freud continue à parler en quelque sorte de la question. Et Freud il est vrai, et je vous l'ai dit tout au départ, a modifié son cap concernant la dissolution. Mais il le dit sur un mode qui anticipe en quelque sorte, sans le théoriser à ce moment-là, le pas suivant. Ça me paraît très important cette façon de lire avec confiance. On peut dire ça comme ça, c'est-à-dire Lacan, et quand nous le faisons nous-mêmes nous y arrivons, lit Freud, donc dans son mouvement, ses avancées, surtout ses avancées non abouties, et en quelque sorte, essaye toujours de pousser ces avancées au-delà de leur point de sédimentation. Là il part de ses pierres d'attente, comme on dit. Mais comme nous le faisons dans une psychanalyse, vous remarquerez. C'est-à-dire dans une psychanalyse, à tel ou tel moment il y a quelque chose qui vous frappe, qui va faire pierre d'attente et que
allez développer plusieurs années plus tard et qui va s'éclaircir pour toute autre raison.
Pourquoi Freud ne pouvait pas aller plus loin à cet endroit ? Mais ça c'est des choses massives. Probablement que ce qu'il manque à Freud à cet endroit, c'est l'insistance de la dimension de l'objet comme organisateur. C'est-à-dire que c'est le fait que nous ne voulons pas céder sur la jouissance produite par l'objet. Et d'où l'impasse de Freud sur la question du symptôme, du côté du Penisneid et du rôle de la castration. C'est-à-dire, pour le dire comme ça, que nous transformons habituellement et Freud aussi, bien souvent, un impossible en impuissance en quelque sorte. C'est très difficile de distinguer pour nous, ce qui est de l'impuissance de ce qui est de l'impossible et en plus nous avons tendance une fois que c'est fait à sacraliser cette opération de transformation. Alors nous prenons une impuissance... un impossible pour une impuissance. Voyez donc Lacan il file tout ça. Mais néanmoins, ce qui est intéressant c'est un lecteur, enfin c'est juste pour vous dire ça sur son mode le plus simple, c'est un lecteur confiant. Il ne va pas chercher Freud pour le critiquer. Il va toujours filer Freud jusqu'à ses propres transformations, jusqu'au moment où quelque chose risque de se sédimenter et là de cette pierre d'attente il va essayer d'ouvrir, en quelque sorte le pas qui pour nous fait pas suivant, encore que quand nous l'avons acquis, ce qui n'est pas toujours le cas. Il y a beaucoup de collègues, enfin probablement qui véhiculent plus une conception freudienne du symptôme que lacanienne, de ce qu'on en entend autour de nous, c'est normal.
Deuxième exemple que je souhaitais vous donner, qui est une autre piste, pour vous montrer combien Lacan a des façons variées de lire et d'interpréter le texte freudien. C'est-à-dire, il n'a pas une méthode qu'on pourrait donner dans un dictionnaire non plus. Il bouge beaucoup sur ses façons de lutter avec Freud en quelque sorte. Donc deuxième, autre grand signifiant érigé au rang de "concept" : l'interprétation. Puisqu' après tout, une fois qu'on vient pour un symptôme usuellement, ce que fait un psychanalyste, effectivement c'est de faire jouer le travail de l'interprétation. Qu'on le veuille ou pas, il y a toujours un bord de suggestion dans le transfert. Et tout discours et le notre aussi bien, a aussi un effet de suggestion. Ce bord, le bord de la suggestion de l'hypnose dont Freud a voulu s'affranchir comme vous le savez est néanmoins assez présent et parfois même très présent dans sa pratique, parce que Freud s'appuie sur une conception de la cure qui est centrée par les interprétations et le sens. Et la plupart du temps chez Freud, ce n'est pas compliqué, c'est quand même grosso modo toujours un sens sexuel. Il suffit de lire la façon dont Freud s'y prend dans ses cures, il le relate très bien. Ce qui est intéressant c'est que avec Lacan sur ces questions de l'interprétation on fait un bond. Pour le dire comme ça : pour des générations d'analystes, Lacan a en quelque sorte interdit les interprétations dans le registre imaginaire, dans le registre du sens. Si bien que quand nous parlons de Lacan et de sa pratique, nous évoquons d'habitude toutes les questions de scansion, de coupure, de jeu de la parole et de l'équivocité. Si vous reprenez un très beau texte de 1937 : Constructions dans l'analyse, Freud résume, il dit au fond : quelle est la tâche de l'analyste ? "Il faut que d'après les indices échappés à l'oubli il devine ou plus exactement il construise ce qui a été oublié. La façon et le moment de communiquer ces constructions à l'analysé, les explications dont l'analyste les accompagne, c'est là ce qui constitue la liaison entre les deux parties du travail analytique, celle de l'analyste et celle de l'analysé." Voyez, c'est très simple comment Freud pensait, le travail d'une cure et d'une séance. Et ça vous l'avez à la pelle dans tous les exemples que donne Freud, y compris ses forçages comme nous le savons ce qui sûrement dans le cas de l'Homme aux loups n'a pas été pour rien. Enfin Lacan le signale dans la part, dans la présence trop réelle de Freud dans les interprétations livrées. Et donc nous sommes quasiment, quand Freud dit ça nous sommes, si je puis dire comme ça, à l'envers du discours sans parole dont parle Lacan. Cependant, Lacan, eh bien, il ne dit pas ce que je viens de vous dire. Je veux dire, il ne dit pas : mais moi ce que je vous dis c'est l'envers de ce que Freud propose dans Constructions dans l'analyse. Il ne dit pas ça comme ça, il ne dira jamais ça comme ça, sur un mode, en quelque sorte, à mon avis qui est malsain qu'on pourrait appeler un mode polémique rétrospectif. C'est-à-dire c'est une façon de régler son compte à quelqu'un qui a disparu depuis cent ans en disant : on voit bien quel imbécile c'était celui-là, ça n'a aucun sens. Et donc Lacan, là, n'a jamais de façon, comme ça, rétrospective de méchanceté d'aller pointer "l'erreur" entre guillemets de Freud. Et comment il fait alors, pour nous faire entendre que le Réel du symptôme n'est pas soluble dans le sens ? Eh bien ce qui est incroyable, c'est que il va chercher son appui et son autorité chez Freud, encore. C'est-à-dire pour faire entendre, que lui Lacan, déplace cette dimension de l'interprétation freudienne, il va encore solliciter le texte
freudien, c'est ça qui est assez formidable. Il dit pas : oubliez tout, table rase ! Le Freud de la construction, c'est terminé, on s'en passe. Il ne dit pas ça. Il dit : bon, Freud il dit ça et je vais le chercher, si je puis dire, ailleurs. Et donc là, je vous renvoie à leçon du 20 Novembre 1973 des Non dupes errent qui est un passage assez formidable où Lacan parle de la mathématique de Freud. Et ça, alors ça c'est fort. C'est-à-dire dans ce qu'on peut appeler le positivisme freudien, il cherche ce que pour lui à l'évidence, Lacan, sera son second pas en quelque sorte, celui qui permet d'inscrire une mathématique. Mais il appelle ça : la mathématique de Freud, et alors ça, moi je trouve ça extraordinaire, c'est pour ça que j'aimerais qu'on travaille, sur des petits textes, ou des plus grands textes de Freud, c'est-à-dire il va commenter un petit article qui est intitulé Die Grenzen der Denkbarkeit traduit donc par Les limites de l'interprétation. Il va se coltiner le texte en allemand, un petit texte et que vous trouverez sous des traductions variées par Les limites de l'interprétable dans certaines revues, qui sont donc dans Quelques additifs à l'ensemble de l'interprétation des rêves et donc il va chercher des articles apparemment périphériques, des additifs, et il va les replacer au coeur de sa problématique. Et donc moi je trouve ça assez remarquable, d'abord parce que c'est un article très court, à première vue assez général, et d'un article court et à première vue, quand vous le lisez très vite, très général Lacan tire des conclusions d'une ampleur considérable. C'est-à-dire, il dit vous savez Freud va plus loin que ce qu'il a dit dans la Traumdeutung. Là où il disait que le désir était alors indestructible. Il dit Freud va plus loin parce qu'il pointe dans ce petit article que la structuration du désir lui-même, dans cette structuration quelque chose existe qui aurait permis d'en mathématiser la nature dit-il. Comment Lacan fait cela, comment il raconte ça ? Mais Lacan il traduit le texte tout simplement. Il fait ce que je proposais, c'est-à-dire il traduit le texte allemand mot à mot tout simplement. Il va prendre chaque signifiant en allemand, en insistant sur la notion de chiffrage et les limites de ce chiffrage qui est aussi la limite du sens. Puisque, vous voyez, ça c'est le "Lacan mathématicien" entre guillemets, puisque le mot du titre Grenzen c'est aussi, sert aussi à ce qui dans la mathématique se désigne comme limite, donc Lacan, là, joue tout de suite du mot en allemand, du signifiant lui-même, il le fait jouer en quelque sorte dans sa dimension mathématisable, comme limite, comme on dit, comme limite d'une fonction. Et donc Lacan, il fait confiance à Freud, il part de la question de Freud. Il dit moi je me pose la même question que Freud : peut-on donner de tout produit de la vie de rêve, une complète et assurée traduction ? Il fait comme il a fait pour le traumatisme. Il fait confiance à Freud, sa question est ma question, je reprends la même question. Et alors ce qui est formidable et il faudrait effectivement être avec des collègues qui comprennent bien cette langue, c'est que pour répondre à ça Lacan va jouer, il va jouer sur deux termes du texte, qu'il va faire jouer l'un contre l'autre, qui est donc dans le texte freudien, le mot en allemand Beziehung et le mot Verhältnisse. Freud dit : je vous le dis en français "la question ne doit pas être traitée abstraitement".
Là c'est formidable, ça demande un peu un travail d'intertextualité. Si vous allez chercher la définition de Laplanche, il traduit tout simplement : "mais par références aux conditions dans lesquelles on travaille à l'interprétation des rêves". Voyez, première traduction de Laplanche qui est donc assez générale, effectivement et Lacan ne dit pas ça. Il ne se satisfait pas de cette traduction comme ça qui au fond ne nous apporte pas grand-chose. Il va disjoindre totalement les deux mots du petit texte freudien allemand. Le premier Beziehung, il nous dit ça porte sur la signification générale, ça veut dire : en relation à, en référence à. Et le second Verhältnisse, Lacan y met la relation comme articulée, comme pouvant s'écrire mais aussi comme porteuse du sexuel et encore dit-il, comme incluse dans le transfert. Il faut le relire si vous voulez parce que là je ne peux pas vous le résumer en deux minutes, voyez, donc Laplanche choisit une traduction un peu passe partout et Lacan il ne dit pas ça. Il dit : non, non ces deux signifiants il faut les faire jouer l'un contre l'autre, on ne peut pas les prendre comme ça. Donc il les clive, il les fait jouer dans leur travail d'équivocité, dans leur richesse signifiante et c'est un travail là, considérable, surtout prélevé sur un texte qui ne paye pas de mine. Et donc prenant appui, et c'est ça le Lacan formidable du respect de Freud, prenant appui sur cette disjonction signifiante, Lacan franchit le pas qui est le sien et dit : le rapport sexuel en tant que jamais il ne peut s'inscrire. Traduction nouvelle de Lacan du même petit texte freudien. Entre le Laplanche que je viens de vous citer et le passage qu'en fait Lacan, évidemment, il y a là une dimension assez phénoménale de relire Freud.
Alors quand vous-même, il faut être honnête, si vous tout seul vous reprenez le texte de Freud chez vous et
après vous allez voir Lacan, il y a un bond totalement magique, ex-tra-or-di-naire entre l'apparent texte de Freud et la leçon du séminaire. C'est-à-dire que le Réel, l'hors-sens dont parle Lacan, il faut le forcer, Lacan le force si vous voulez, c'est un travail de forçage, de poids de sa propre présence dans le texte freudien. Et donc là où Freud bouscule une question qu'il a lui-même balisée, et c'est ça qui est intéressant parce que Lacan s'autorise à bousculer Freud là où Freud lui-même se bouscule puisque je vous le rappelle, Freud bousculait sa première conception du désir et du rêve. Et donc là où Freud bouscule une question établie, la pousse à une certaine limite comme dit Lacan, Lacan produit ce qu'on peut appeler un forçage. Il interprète, il interprète le texte de Freud en déplaçant, en faisant jouer deux termes apparemment proches. Ce qui est formidable, c'est que de cette césure apparaît effectivement un nouveau texte, qui est la leçon, là, du Non dupes errent. Là, il faut le suivre quasiment à la trace. C'est un travail d'une beauté, mais ce qui me paraît le plus important à vous dire, c'est un travail d'une confiance, vous voyez, dans Freud. C'est-à-dire, il ne dit pas : cet amoureux des constructions, on s'en passe, il dit pas ça Lacan, il dit : je me heurte à une difficulté, comment je vais reprendre appui dans Freud lui-même pour trouver ce point de mathématique là ?
Il y a le texte extraordinaire, il faudrait aussi le travailler avec les collègues germanistes de la Vorstellungrepresentanz. Il y a le très beau texte sur Père ne vois-tu pas que je brûle, toute une série de textes fondamentaux où là il produit un Réel, il mal-traite mais au sens où je le dis, avec confiance et dignité, le texte freudien. Il faudrait trouver un mot pour dire comment on mal-traite un texte avec dignité. Je n'ai pas le mot qu'il conviendrait, en français.
Donc j'en termine avec une autre forme, mais c'est votre question qui m'y invite à la fin. Voyez une autre forme de l'impossible lacanien, et donc de la relecture de Freud, autre exemple qui n'est pas le même du tout qui est la question du père, effectivement.
Alors attention, je voulais quand même vous dire quelque chose à propos de cette deuxième lecture en action, celui que je viens de dire, comment dire, ça n'autoriserait pas, ça ne nous autorise pas à faire du texte de Freud n'importe quoi. C'est ça aussi qu'il faut dire au passage. Il faut faire attention ! Là ce que je viens de donner comme exemple, ça ne sous-entend pas que n'importe lequel de nous peut produire une interprétation ésotérique nouvelle. Pourquoi ? Comment ? Tout ça resterait à établir. Il faut faire attention, on n'est pas là dans un fracas au point de lire Freud sur un mode kabbalistique et d'en faire surgir comme ça une pluie nouvelle de signifiants.
La question du père, pourquoi je la cite ? Parce que effectivement, c'est une autre forme de lecture. C'est une autre forme qui est peut-être plus proche de celle de la Vorstellungrepresentanz puisque donc je vous le rappelle, pour traiter du symptôme et de l'interprétation, Lacan s'appuie sur le texte de Freud alors même que nous pensions en être quitte, c'est ça qui est très important. C'est-à-dire à un moment on pense à être soulagé de Freud, on pense à être après Freud et Lacan dit non, vous n'en êtes pas soulagés. Non seulement vous n'en êtes pas soulagés mais c'est encore là que vous allez trouver de quoi assurer votre propre pas. Mais, il y a effectivement d'autres zones de Lacan qui sont plus complexes et pour aborder la question du père, sa lecture devient quasiment psychanalytique, si je puis dire interprétative au sens de la séance, puisqu'il s'autorise à dire, ce qu'il faut juger pour dire ça, que Freud d'un certain point de vue, avalise notre amour spontané pour le père. C'est une position là, je ne sais pas comment dire, non pas de surplomb, elle ne serait pas analytique celle-là mais une position de transfert, de dissymétrie transférentielle qui interprète la position de Freud comme le bonhomme lui-même en quelque sorte, Freud lui-même.
Et là Lacan produit, il faut être honnête, mais je vais aller très vite parce que vous le connaissez non seulement vous le connaissez mais c'est devant nous. C'est les travaux qui s'originent à partir d'Encore, donc c'est les travaux qu'on reprendra plus tard. C'est-à-dire qu'il y a une forme de vérité dans le Totem et tabou, il y a une forme de vérité c'est la nécessité d'une place, et une place qui soit radicalement hétérogène à celle du sujet. Mais il n'est pas certain que l'impossible à l'oeuvre dans les énoncés freudiens, par exemple : "la mère est interdite", il n'est pas sûr que cet impossible soit du même ordre que celui présent dans la formule lacanienne : "La femme n'existe pas" ou "Il n'y a pas de rapport sexuel". Je veux dire par là, on sent bien chez Lacan cette angoisse de se demander si le meurtre ou le sacrifice, en quelque sorte, sont-ils nécessaires
ou contingents, pour maintenir chez l'humain la dimension de l'impossible ? Et c'est ça qui l'embête dans la position de Freud.
Donc moi je partage ton point de vue, Pierre-Christophe, il est bien évident que son travail des noeuds borroméens, dans la suite un travail qui est très articulé dont t'avais parlé sur Joyce et la question du sinthome, essaye, je crois que c'est le moment où Lacan essaye de trouver une issue à cette difficulté. Il a visé la difficulté depuis longtemps mais il va mettre du temps à proposer une forme d'issue. Il n'est pas même certain d'ailleurs que nous-même nous soyons à la hauteur de bien le comprendre, l'issue que propose R.S.I. à ce problème freudien. C'est-à-dire la psychanalyse, pour finir, a-t-elle un efficace au-delà de l'aménagement fait avec le symptôme et donc au-delà, comme dit Lacan, de notre amour religieux pour le père ? Et je crois que à cet endroit, à cet endroit de son travail, Lacan là, en quelque sorte se sépare. On peut dire qu'il y a une forme de deuil si je peux me permettre, il y a une forme de deuil. Lacan je ne sais pas comment vous le dire pour pas que vous soyez accablés sur un mode imaginaire, mais on sent que Lacan quitte Freud, R.S.I. c'est à mon avis une forme de deuil. Un deuil parce que là deux voies, deux voies vont quand même s'ouvrir qui sont très différentes dans l'inscription du noeud borroméen et même y compris dans ce défi qui est souvent inimaginable dans l'inscription non pas du phallus ou du Nom-du-Père mais de l'objet au coeur de la problématique des trois dimensions.
Je souhaitais vous proposer ce mode de travail, qui n'est pas un viatique mais qui est une façon de faire jouer ces trois catégories. C'est-à-dire l'Imaginaire, l'Imaginaire comme consistance nouée, pas l'Imaginaire bébête. Il faut, il faut même sur un mode Imaginaire savoir avec qui quelqu'un parlait, c'est nécessaire. On ne peut pas dire qu'il parlait comme ça en l'air. Il parle, il combat, il lutte avec qui ? Et il lutte toujours Freud, comme Lacan, comme nous-même à notre mesure on est toujours en lutte avec tel ou tel. Donc ça c'est des dimensions de l'Imaginaire. Deuxième forme qui remet l'Imaginaire dans son nouage au Symbolique qui est ce que les universitaires appellent l'intertextualité, c'est-à-dire ne vous amusez jamais à faire jouer un texte tout seul, c'est dommage, c'est pas la peine de dire Freud dit ça donc il dit ça. Bien sûr il dit ça et puis il dira autrement ailleurs et c'est quand même intéressant maintenant de pouvoir faire jouer Freud avec Freud, ce que fait Lacan sans cesse. Et puis donc ce qui est beaucoup plus difficile pour nous c'est le traitement du Réel, effectivement dont Lacan donne ses façons et il y en a plusieurs, il y en a plusieurs types. Comment Lacan s'autorise à molester un peu le texte freudien, la plupart du temps avec un respect incroyable que nous n'avons pas nous-même, souvent nous ne lisons pas Freud avec dignité. Et dans certains travaux terminaux où il accepte d'être endeuillé de Freud. Alors là Freud c'est Freud et moi c'est Lacan, c'est comme ça. Et nous, où sommes-nous ? Bien à voir ! Voilà.

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