Le social, retour du refoulé
L'année qui commence nous oblige paradoxalement à prendre appui et position sur ce qui nous tombe dessus, c'est-à-dire à identifier ce qui est de l'ordre de l'impossible.
Identifier l'un du réel d'aujourd'hui n'est pas simplement le reconnaître car l'appel aux idéologies ne manquera pas d'accompagner la crise économique que nous avons à affronter.
Quels sont alors les signifiants de notre discipline ?
La psychanalyse n'est pas une conception du monde mais elle a son mot à dire sur la place de l'objet, la fonction des idéaux, voire la logique des classes. Lacan a développé des remarques presque prophétiques dans le discours dit du capitaliste si nous ne les réduisons pas à une paraphrase post marxisante.
C'est toutefois dans le corps à corps avec la dimension même du réel et dans le déplacement du terme d'impossible opéré par le nouage borroméen que des promesses de lecture de la clinique individuelle et sociale nous attendent. En amont, un premier pas peut consister à analyser les formes contemporaines du retour du refoulé en restant proche de la méthode freudienne.
Dans son article princeps de 1915 sur le refoulement, Freud indique qu'il nous faut envisager plusieurs mécanismes, chaque psychonévrose ayant en quelque sorte son propre refoulement.
A la distribution clinique faite également pendant les différences suivant le sexe, une femme ne refoule pas comme un homme.
Formations de substitut et symptômes sont les indices du retour du refoulé, seule lecture possible avec les lapsus, oublis et autres actes manqués du dit refoulement. Ainsi refoulement et retour du refoulé sont les deux faces de la même monnaie de jouissance mais le mécanisme est à chaque fois à préciser.
La relecture de Freud est à ce titre essai de tissage avec le monde tel qu'il est et pas seulement tel qu'il était au moment de Vienne en 1900.
Pour la première des structures évoquées, la névrose phobique Freud précise que ce qui est soumis au refoulement est avant tout une position libidinale envers le père, couplée avec l'angoisse.
C'est dans ce cas l'affect, l'angoisse, qui va rester permanent ; la représentation va se trouver déplacée vers un substitut et rendue méconnaissable. Ainsi, les terreurs nocturnes concernant le loup.
De nos jours, le père est à l'évidence un loup ; loup dont le danger est pour chacun relayé dès le plus jeune âge ; les intervenants dans le monde de l'enfance savent le nombre de dénonciations éhontées dans les familles et les écoles.
Les phobies n'ont pas disparues du champ de la clinique et concernant le social, nous pouvons même dire que crier au loup est une des réponses courantes du sujet en proie à des démons magnifiés par la projectivité.
Un nauséabond "judéo capitalisme" a ainsi paraît-il bonne presse sur le réseau Internet
Dans l'hystérie de conversion, l'affect peut au contraire complètement disparaître.
C'est la fameuse "belle indifférence" des hystériques. Se rencontraient alors au titre du symptôme les paralysies et les algies, témoignage de la valorisation inconsciente de l'innervation (on se disait malade des nerfs).
Charge réduite de l'affect mais formation de substituts très extensive dit Freud.
Il est remarquable qu'aujourd'hui les hystériques empruntent d'avantage une forme "affectée", dépressivité et sensitivité paranoïaque au premier plan.
Peut-être faut-il y voir un effet du culte de l'identité, la mode n'est plus à la conversion, chacun dans sa communauté ! Autre réponse à l'inquiétude sociale.
Le cas de la névrose obsessionnelle posera un dilemme à Freud : est-ce la tendance libidinale ou la tendance hostile qui est soumise au refoulement ? Il tranchera pour l'impulsion hostile en soulignant la particularité du retour du refoulé : "l'affect disparu revient en se transformant en angoisse sociale, angoisse de conscience, reproche sans merci".
Nous rencontrons rarement des névroses obsessionnelles classiques avec leur cortège de doute et de vérifications mais cette façon de faire taire un élan sexuel ou hostile reste emblématique des entrées dans la cure analytique.
Au regard de quelque chose dont la satisfaction est plus importante, le sujet va sacrifier une partie de sa vie fantasmatique.
Ce n'est pas ici le choix d'une jouissance sans limite car ce retranchement du message venu de l'Autre se fait au nom d'une instance que nous connaissons et que nous pouvons appeler l'idéal.
C'est pourquoi la névrose de contrainte, presque désuète à l'état symptomatique sauf curieusement chez l'enfant garde son crucial intérêt car elle peut dans une période agitée aisément devenir discours.
L'appel à la haine s'est souvent dissimulé derrière l'oripeau des idéaux.