Penser l'identité
Sous un titre qui risque de n'être qu'invitation à visiter la superbe ville de Fès, deux volumes consacrés aux travaux de l'Association Lacanienne sur le thème de l'identité viennent d'être publiés.
Le signifiant "identité" n'est pas a priori rangé dans la boite à outils du psychanalyste et nous savons que Freud développera d'abord le concept d'identification. Lacan poursuivra dans la même veine un séminaire surtout occupé à élaborer la question du trait Un.
Le Un de l'identification n'est pas le Un de la totalisation ; mais c'est cela précisément que l'identité refuse au prix d'une clôture non seulement de toute fraternité mais aussi de toute pensée.
Qu'elle soit religieuse, ethnique, nationale ou régionale... l'identité est une passion qui (re)vient en force au moment où le monde se globalise et devient pour chacun une forme sphérique sans singularité pour s'accrocher ni trou pour s'échapper.
Claude Lévi-Strauss a décrit le risque d'une mondialisation soucieuse de la valse des objets mais non plus de la protection des peuples.
Le tome du Colloque de Fès 2005 n'est pas que reprise du fil fondateur du groupe de Cordoue de l'Association sur le socle commun des trois monothéismes.
Il permet de réfléchir à une difficulté souvent évoquée : sommes-nous voués à toujours penser l'identité à partir du religieux ?
Est-ce que le coeur de notre vie est d'abord la lecture et le commentaire d'un Texte ?
Le paradoxe d'une société laïcisée semble être l'appel nécessaire à des discours de tradition car nous savons de moins en moins ce qui du passé fait tissage pour le présent.
Des penseurs évoquent les Eglises comme dernières gardiennes des mémoires et de l'histoire des origines ; les politiques emboîtent le pas.
La psychanalyse peut-elle aider à tenir un propos qui ne soit pas qu'adoration d'un Texte mais qui en ménage le message éthique ?
Le second volume qui se conclue par "l'appel de Fès" lancé par C.Melman et les organisateurs du colloque cherche quelques issues à l'impasse mortelle de l'identité sacralisée.
Si le sujet divisé de la psychanalyse trouve sont abri au lieu de l'Autre, c'est que la dimension de l'altérité se propose comme seul viatique.
La place de l'Autre au sens le plus simple de toute hétéronomie ou toute position symbolique tierce est aujourd'hui contestée.
Cela peut se décliner du coté du sort réservé à l'étranger mais aussi à celui fait au fou dans la cité ou encore du côté de la querelle moderne sur la différence des sexes.
Indistinction et indifférence pour l'Autre, exclusion et ségrégation pour l'autre.
Pas de Un sans Autre avait pu dire Lacan ; ce message reste à faire passer dans la culture.
Les outils de la psychanalyse demeurent pertinents : ainsi la remarque mille fois répétée sur la différence du
signifiant d'avec lui-même.
Il n'y a pas d'identité à soi-même sauf celle réalisée dans la paranoïa.
L'appel de Fès commence par "nous sommes les uns et les autres les amants de l'identité...". Cet amour verse invariablement dans la jalousie, la revendication, le ressentiment, voire la persécution et la guerre.
Ces recueils sont d'une brûlante actualité et méritent de diffuser au-delà du cercle des initiés.
Signalons pour terminer la remarquable postface de P.-C.Cathelineau "Essai de topologie appliquée au lien social". Le lecteur y trouvera un audacieux prolongement de la triplicité borroméenne que Lacan proposera pour serrer des questions peu travaillables sans le nouage des catégories de l'imaginaire, du symbolique et du réel.
Au delà de l'identité, la pensée... un pari à tenir.