Jacques Tyszler
Directeur et Psychiatre psychanalyste
CMPP de la MGEN.
L’enfance de la compétence Créditer sans pronostiquer
L’école maternelle a aujourd’hui pour charge d’évaluer des compétences alors qu’auparavant c’était le CP, cours
préparatoire, qui était le passage symbolique vers les lois de l’apprentissage. Tous les enfants ne sont pas prêts
psychologiquement à ce glissement dans le sérieux dès la moyenne ou la grande section. Le petit reste souvent
accroché au fantasme de l’enfant Roi.
Même si c’est banalité il faut rappeler que les apprentissages ne sont pas que développements de séquences
génétiques programmées ; il faut de l’Autre pour transmettre : c’est la fonction de l’enseignant. Sans cette
rencontre qui doit être heureuse l’enfant est rapidement mis en échec, ne pouvant trouver par lui-même la
confiance pour affronter l’arbitraire constitutif de l’entrée dans la lettre ou le nombre
La mode est de séparer le domaine psychologique et affectif de celui de la cognition dont le support neuronal
parait plus scientifique mais l’expérience clinique nous confronte au fait que toutes ces dimensions sont
intriquées ; l’enfant est fait d’un tissu aux fils variés ; il est tricoté non seulement à partir de son patrimoine
génétique, de son histoire familiale mais aussi avec les apports de toute la scolarité. Ce que l’on appelle
d’ailleurs « épigénèse » a conduit à mettre l’accent sur le rôle crucial de l’environnement dans le développement
de l’enfant ; le contexte social, éducatif et émotionnel est aussi important que le texte de l’ADN.
C’est pourquoi l’évaluation des compétences se doit d’éviter les termes de mauvais pronostic, comme on dit en
médecine.
Ainsi « les difficultés d’apprentissage » sont sans prudence annoncées auprès des familles alors même que le
français n’est pas à la maison la langue d’usage.
Parler d’un déficit ou d’une incapacité voir d’un handicap est un propos qui nécessite d’être pesé et réfléchi. La
psycho-pathologie de l’enfant a appris à mettre en valeur ce qui est encore en attente, ce qui est à portée de la main et que la maitresse ou le maitre va semer sans récolter immédiatement.
Nos bilans spécialisés de CMPP et de CMP mettent en valeur des compétences encore en latence et font
confiance à l’enfant par anticipation.
La révolte et le découragement sont trop régulièrement le lot d’enfants à peine entrés dans le champ des
apprentissages : c’est à cet endroit que l’enseignant de maternelle et le professionnel du soin peuvent collaborer
pour créditer sans pronostiquer.
