mercredi 1 janvier 2003

Le lapsus du nœud

Jean-Jacques Tyszler

 

Dans ces années-là, Lacan ne trouve plus son appui semble-t-il, sur la question du un du signifiant, mais sur la question d’un type d’effet de sens, qu'il rapporte lui au réel de l'effet de sens. Qui est cette façon toujours de travailler non pas tant dans l'équivocité, mais dans la mise à disposition des trois registres. 

C’est-à-dire l’obligation de nouer toujours, de coincer réel symbolique imaginaire, le coinçage de ces registres. Alors, est-ce que ça nous parle ?Est-ce qu’on peut le prendre pour nous-mêmes ? Est-ce que c'est une pratique qui nous paraît très éloignée de ce qu’on fait en principe avec la question de l'équivocité et de la coupure ?

 En tout cas il me semble que c'est cette difficulté-là, ce divorce-là que Lacan amène à partir de R.S.I.. Et qui s'accentue jusque dans les derniers séminaires.

 

Vous avez choisi évidemment un pari un peu audacieux. C’est un pari audacieux de nous obliger à travailler Le
moment de conclure. Parce qu’on ne peut pas estimer que la topologie du nœud soit une pratique assise.
Et acquise.  C’est toujours très difficile de se hisser à des questions conclusives avant même d’avoir pris en compte
tout ce que Lacan essaye de décaler dès lors qu’il introduit ce moment, ce moment de la topologie du nœud qui a mon sens rompt précisément avec la question des discours. Je partage ce qui a été dit ce matin, de savoir si Lacan ne
s’appuyait pas sur une philosophie, évidemment que Lacan est un grand lecteur de la théologie,des sciences dures, ce n’est pas ça la question, mais la topologie du nœud, j’y reviendrai un peu tout à l’heure,  est quand même  il me
semble pour lui une nécessité, un moment de nécessité, qui vient rompre avec la question de la circulation des discours. Voilà comment je présenterai les choses.  Il semble donc qu’il y ait là une difficulté, un réel pour Lacan dans ces années-là. Ce sera ma première entrée.  La seconde, c’est de dire que malgré votre titre je crois que la philosophie ne peut pas, parce que ce n’est pas son objet, la philosophie ne peut pas nous renseigner sur le lien qu’il y a entre le surgissement d’un signifiant, le surgissement d’un signifiant dans la culture, et le type de jouissance qui en déborde. Si vous acceptez de prendre les choses comme ça, le lien qu’il y a entre le surgissement d’un signifiant, un signifiant nouveau, et le type de jouissance qui en déborde, il paraît quand même difficile de demander à ce qu’on appelle la philosophie d’en rendre compte.  Je crois que ça, ce sont des questions de clinique analytique. Justement ce séminaire ne fait pas discours. Donc, je vais vous apporter un certain nombre de remarques qui ne seront pas bouclées, qui seront le moment de certaines de mes interrogations de travail. Dans le premier chapitre du séminaire le moment de conclure, Lacan indique, c’est quand même une formulation extraordinairement forte, il indique que la science n'est qu'un fantasme. Ce n’est quand même pas rien ce départ. La science n’est qu’un fantasme , et alors il prend un exemple incroyable il dit qu’à son avis l’élucubration créationniste, Adam et Ève, ne vaut pas mieux dit-il que l’élucubration évolutionniste. C’est quand même énorme comme propos. Surtout dans le moment d’obscurantisme où l’on est dans certains pays comme aux États-Unis sur la question du créationnisme, enfin, Lacan parlant de la science comme fantasme, finit par dire qu’au fond qu’est-ce qu’on a gagné à la question de l’évolutionnisme ? J’y reviendrai tout à l’heure, parce que sous ce côté de provocation, il y a évidemment un problème qui touche au fracas du discours scientifique. Maintenant, si vous prenez la leçon dernière, celle du 8 mai 1978, Lacan y conclut le séminaire en disant : « si nous n’allons pas tout droit à cette distance, entre l’imaginaire et le réel, nous sommes sans recours ». Il parle de la psychanalyse.  « La différence entre la représentation et l’objet est quelque chose de capital ».
Ça semble être un rappel : cette béance entre l’imaginaire et le réel qui comme nous le savons est indispensable au tissu, à l’étoffe même de ce qui est une cure analytique.  Donc, pourquoi rappeler à la fin, tout à la fin, ce point,
cette béance qui pourrait paraître quasiment acquise, presque depuis le séminaire III par exemple, celui sur les psychoses, et le réel de l’hallucination, qui n’est pas l’imaginaire du délire. Qu’est-ce qui préoccupe à ce point Lacan, de rappeler comme une difficulté, cette béance ? On est quand même une génération après les structures freudiennes des psychoses eh bien je ferais cette hypothèse, c’est je crois qu’on peut dire qu’à ce moment-là, il n’est plus certain que ce qu’il a appelé le plus de jouir ou bien l’objet petit a soit uniquement relatif aux conditions fantasmatiques.  C’est-à-dire aux conditions du fantasme. C’est-à-dire qu’il y a là une difficulté que l’on a souvent commentée c’est que nous sommes dans une époque qui s’est beaucoup accélérée, depuis les années 1950, la science produit un type de jouissance dont on avait parlé d’ailleurs ici à propos du séminaire Encore , un type de jouissance du corps qui s’accélère, en permanence, une jouissance qu’on peut appeler hémorragique.  Ce qui fait que nous nous sommes habitués dans nos propres cercles à parler de ce plus de jouir, de l’objet, non plus seulement comme la condition du fantasme,  mais nous en parlons en disant que cet objet se positive et vise à procurer des satisfactions substitutives, vous l’aurez noté qui deviennent petit à petit réellement substitutives,pas imaginairement.
C’est-à-dire, je crois, des satisfactions qui déplacent l’impossible de chacun des discours. Je crois que c’est ça qui est nouveau et qui probablement enquiquinait Lacan.  C’est-à-dire qu’une fois qu’avaient été établis ces quatre discours, qui sont quand même toute la charpente de son travail, ces quatre discours qui disait-il sont les seuls à faire lien social, eh bien il semble que nous ayons à faire à une problématique objectale, un rapport à l’objet, qui maintenant déplace de force l’impossible de chacun de ces discours.

 Il ne faut pas oublier que chacun de ces discours participe justement d’un bout de réel. Car il s’origine comme le disait Freud de l’échec du principe de plaisir. Donc
je vous le rappelle Lacan avant ces années de séminaire sur le nœud borroméen avait déjà attiré l’attention des analystes, sur ce qu’on pourrait appeler l’effraction de ce qu’il a nommé une fois le cinquième discours sur les quatre autres. Il disait, soyez attentifs au fait que quelque chose va faire effraction dans la mise en place de ce qui habituellement faisait discours et faisait également impossible. Donc je crois que cette effraction parce qu’elle ne protège plus la place de la vérité, parce qu’elle met en continuité le savoir et l’objet, cette effraction vient non pas
réduire l’envahissement imaginaire mais comme dit Lacan dans le séminaire, vient détacher cet imaginaire, vous noterez que tout au long de ce séminaire Lacan se préoccupe de la façon dont l’imaginaire s’exfolie dit-il. C’est-à-dire se détache. Il le pose au départ il en reparle à la fin. Donc, comment le nœud se dénoue ? Voilà comment je pense cette mise en place, cette préoccupation de Lacan à l’entrée de ce séminaire. Petite remarque au passage, il y a par exemple une chose très intéressante, il y a à l’évidence une reprise du travail sur les questions de la mise en
continuité dans ce séminaire. C’est une vieille question qui vient de la question de la double inscription, de la bande de Mœbius, Lacan a beaucoup travaillé là-dessus, les coupures inlassables sur le tore, puis cette curieuse manœuvre
de retournement qui effectivement emprunte des procédés mathématiques assez modernes, sont au fond à chaque fois de mettre au travail la question de l’extérieur et de l’intérieur, de renouveler les formes de la continuité, d’intervertir les questions d’axes et d’âme du tore, donc il est toujours à chercher dans cette mise en continuité quelque chose du travail de l’inconscient. Ça ça ne fait pas de doute. Alors, il ne faut pas oublier qu’il y a eu des séminaires qui précédaient où il s’était coltiné d’autres niveaux de mise en continuité. Et je vous rappelle en particulier qu’il y a dans l’insu que sait... par exemple un travail de mise en continuité précisément du réel et du symbolique, c’est-à-dire il dessine un type de nœud, il met complètement en continuité le réel et l’imaginaire, et puis il fait un petit dessin où il met le symbolique et la nomination symbolique. Ce qui est intéressant c’est le commentaire, ce qu’il ajoute pour lire ce dessin. Il dit, bien voilà ce sont « des corps produits comme appendices autour d’un dire ». Tout d’un coup, autour d’un signifiant, d’un dire, ça fabrique des corps. Je ne peux pas là le commenter plus, essayez de faire jouer ces questions, autour d’un dire tout d’un coup vous avez des types de corps... alors vous voyez là d’autres niveaux de la question de la continuité. C’est un autre contrepoint. Tout à l’heure, tu parlais de l’échec de la passe, mais je crois que l’échec de la passe rend compte d’une difficulté qui ne pouvait pas être levée, c’est quel type de continuité peut-on écrire entre un franchissement qui est celui de l’analysant, en principe c’est ça la passe, et sa possibilité d’en rendre compte à lui seul. Il va le faire par quel type d’opération de continuité ? Peut-être qu’on ne peut pas l’écrire, je n’en sais rien. Il y a donc à mon avis un travail très important des différents niveaux de ce qu’on peut appeler « mise en continuité » qui est à l’évidence à l’intérieur de ce séminaire que vous avez travaillé.
Un mot sur le temps, nous y sommes obligés, c’est quand même le moment de conclure ! Un mot quand même sur la question du temps et le nœud borroméen. C’est une chose dont on ne s’aperçoit pas toujours mais vous savez que les questions de temporalité, sont intimement liées au travail de la langue elle-même, par exemple l’hébreu comme vous le savez ne possède que deux temps. L’hébreu classique ne possède que deux temps. C’est-à-dire que les actions sont soit finies, soit inachevées. Toute la Bible est écrite avec le jeu de ces deux temps-là. Si vous voulez traduire ça, dans notre façon à nous, passé-présent-futur, ça crée des torsions assez complexes. Par exemple, la prophétie, ce que la Bible appelle une prophétie n’est pas obligée de porter sur le futur. Contrairement à ce qu’on
croirait spontanément. Imaginairement on pourrait penser qu’une prophétie c’est comme les oracles grecs. Eh bien non. Il y a un certain nombre de prophéties dans la Bible où le prédit est déjà accompli. C’est très difficile à rendre compte quand vous le lisez en traduction. On voit bien que le nœud borroméen, et si vous l’avez dans les mains, que vous le construisez, ce n’est qu’une succession de temporalités et cela me paraît extraordinairement important. C’est-à-dire que vous sortez de l’univers logique de l’avant, du moment, de l’après, et on est dans une suite de
temporalités assez curieuses qui sont une suite de tiraillements. Alors, si vous le permettez, je voudrais vous donner ma lecture, puisque je suis en train de travailler R.S.I., de ce qui m’apparaît pour le moment comme l’enjeu général de ce qui se produit dans ces séminaires extraordinairement dessinés, ou un certain type de monstration, de dessins, d’évidence mathématiques semblent remplacer le discours, et malgré ce que disait Gabriel Balbo, ce n’est quand même pas le discours habituel de Lacan où il y avait en permanence ces jeux de mots, ces inventions, ces métaphores extraordinaires, on n’est pas dans ça ! Moi j’ai une proposition, mais ce n’est pas que la mienne, Marc Darmon en parlait aussi, il semble que Lacan dans ces années-là, contre toute attente, il ne part plus du UN du signifiant. Lacan si on avait à le résumer, c’est quand même d’habitude le champion du un du signifiant. C’est quand même celui qui a imposé dans la communauté analytique cette phrase répétée à l’infini, le signifiant c’est ce qui représente le sujet pour un autre signifiant. Il me semble qu’à partir de ces séminaires de topologie, à partir de
R.S.I., Lacan ne part plus du un du signifiant. Ce n’est pas ça qu’il promeut, mais il part de ce qui pour lui est, dit-il, le réel du nœud, c’est-à-dire le type de nouages qui ne sont pas présents dans la philosophie mais qui sont des nouages présents dans le dire. Dans le dire du patient, à l’intérieur de l’analyse elle-même, et que curieusement il met du côté de l’effet de sens. Mais dit-il du réel de l’effet de sens. Ce qui n’est pas non plus notre habitude puisque nous logions jusqu’à présent la question du sens du côté de l’imaginaire en collant à la signification. Eh bien là, s’il
y a une nouveauté dans ces années-là, Lacan ne trouve plus son appui semble-t-il, sur la questiondu un du signifiant, mais sur la question d’un type d’effet de sens, qu’il rapporte lui au réel de l’effet de sens. Qui est cette façon toujours de travailler non pas tant dans l’équivocité, mais dans la mise à disposition des trois registres. C’est-à-dire l’obligation de nouer toujours, de coincer réel symbolique imaginaire, le coinçage de ces registres. Alors, est-ce que ça nous parle ? Est-ce qu’on peut le prendre pour nous-mêmes ? Est-ce que c’est une pratique qui nous paraît très
éloignée de ce qu’on fait en principe avec la question de l’équivocité et de la coupure ? En tout cas il me semble que c’est cette difficulté-là, ce divorce-là que Lacan amène à partir de R.S.I.. Et qui s’accentue jusque dans les derniers séminaires. C’est-à-dire que l’on quitte effectivement l’univers des discours, du un du signifiant, pour autre chose. Qui est ce qu’il appelle le réel de l’effet de sens. Je suis d’accord avec ce qui avait été dit tout à l’heure que l’insistance dans ces années-là a été mise sur la question de partir du réel. Il est vrai qu’il semble vouloir à tout prix
élaborer une pratique qui plus encore part de la question du réel. Il semble dire que la question de la psychanalyse est une autre façon que ce que proposent les autres champs de la connaissance. Les autres types de discours. C’est-à-dire bien entendu le discours religieux comme premier type de discours consistant, la religion, ces grands mystères, la révélation, les grands mythes fondateurs, mais aussi je crois que c’est très important pour notre génération, la question du discours scientifique parce qu’il y a une toute-puissance de ce type de discours dans son
fantasme de maîtrise du réel, et ses prétentions sans limite dans les domaines ou en principe la castration s’imposait aux vivants. Nous ne le vivons que depuis une ou deux générations. Les domaines ou en principe la castration s’imposait aux vivants c’est-à-dire la sexualité, la procréation, la différence des sexes. Ça, c’est quand
même très récent. Également pris dans ces questions scientifiques il y a ce qu’on pourrait appeler le relativisme dissolvant. C’est-à-dire cette façon de dire : il n’y a jamais de vérité dernière, tout est affaire de théorie, c’est-à-dire un type d’universel qui sert à détruire toute singularité de l’expérience humaine. Je crois que c’est aussi une autre façon d’aborder ces questions qui n’est pas celui du discours philosophique. Parce que le discours philosophique est quand même un discours qui laisse entendre dans le meilleur des cas qu’une pensée disons consistante - et le terme de consistance est dans le séminaire - une pensée consistante, une pensée construite pourrait à elle seule répondre au malaise dans la culture. Le propos de la philosophie c’est de dire
que quelque chose de suffisamment tissé par le symbolique aurait un type de consistance un type de puissance qui peut, qui pourrait répondre, et Lacan dit que non. On ne peut pas attendre ça de la philosophie. Cette toute-puissance du discours ne prend pas en compte le fait que malheureusement dans notre société tout discours est absorbé par le tourniquet des discours. Ce que j’ai appelé tout à l’heure cette jouissance hémorragique. Tout discours subit lui même cette espèce de torsion effrénée. Cette effraction. Je ne sais pas comment le dire autrement, vous
voyez bien dans quelle myopie on est, à lire par exemple concernant la guerre les choses les plus sensationnelles, d’un bord comme de l’autre, on ne s’y retrouve pas. Malgré les sommets de consistance de tout ça. Où voulez-vous trouver votre boussole ? Donc, pourquoi et comment la psychanalyse proposerait-elle une perspective différente dans l’appréhension du réel, et Lacan pense que c’est la question du nœud borroméen avec une remarque justement sur laquelle je voulais insister, c’est la question de la mise au même rang des trois consistances. Ça aussi c’est quelque chose sur laquelle on passe trop rapidement. C’est-à-dire que, comment dire ça, lorsqu’on est formé aux séminaires de Lacan, il y a toute une époque où la question de l’imaginaire semble devoir céder le pas, on parle même de réduction de l’imaginaire, il y a une première
lecture de Lacan qui fait que la question de l’imaginaire est traitée comme un mal quasiment... c’est l’axe du mal ! Or, il y a quelque chose sur laquelle nous n’insistons pas assez, et qui est à l’intérieur du moment de conclure, c’est
que l’imaginaire depuis le nœud borroméen est remis au même rang que les autres consistances. Et ça, je crois que c’est une manœuvre extrêmement importante. C’est-à-dire que Lacan s’est certainement aperçu par le biais de ce qui lui est rendu dans les cures et aussi ce qui se produisait dans la culture que le risque n’était pas tant de réduire l’imaginaire que de le voir foutre le camp, auquel cas là vous ne nouez plus rien. Je voulais vous rappeler cette curiosité dans le travail de Lacan de remettre au même niveau, ni plus ni moins, que les autres consistances la consistance de l’imaginaire. C’est ce qu’il faudrait quand même commenter, et ce n’est pas rien, ce n’est pas habituel, dans la formation des séminaires de Lacan. Deuxième petit point, on ne pourra pas le commenter ça nous amènerait trop loin, c’est évidemment ce nœud à trois que Lacan reprend dans le moment de conclure, c’est quand même le pari de Lacan. Je veux dire c’est quand même son pari vis-à-vis de Freud. Et des fois il s’emporte contre Freud. C’est quand même son pari vis-à-vis de Freud de proposer que ces consistances tiennent sans faire appel ni à la centralité de l’œdipe ni à la centralité du phallus ce qui est quand même énorme aussi ça. Je ne sais pas si on a bien réalisé ce que ça sous entend. Il y a une difficulté dans cette écriture R.S.I. car à elle seule elle devrait permettre une dimension qui est celle du grand Autre. De l’autre avec un grand A. c’est-à-dire quelque chose
qui se définit de n’avoir pas le moindre rapport, c’est-à-dire qu’il faut que les consistances restent hétérogènes l’une à l’autre. Si vous écrivez un nœud à trois ça sous-entend que les trois consistances tiennent de façon hétérogène par
elles seules. Et vous savez je crois que la grande hésitation de Lacan que l’on entend dès R.S.I. et ensuite dans le séminaire sur Joyce mais qui revient là dans le moment de conclure c’est qu’il n’est pas sûr que cette hétérogénéité soit acquise pour que cette question tienne. Je crois qu’il faut tenir ces deux bouts, à un bout son pari par rapport à Freud, c’est dire mais bon sang la question de la lecture toujours œdipienne des cures et cette question de la jouissance phallique qui vient obnubiler tout notre travail, est-ce que nous pouvons un peu laisser ça de côté. À l’autre bout il y a le pari que les trois nœuds, les trois consistances tiendront seules. Mais à quel prix ? Est-ce que cette question est soutenable ?
Il y a une remarque qui moi me laisse dans un embarras incroyable c’est la question de l’identification. Je pense que vous êtes comme moi, dans tous les derniers séminaires Lacan revient sans arrêt sur la question de l’identification qui pourtant a déjà été traitée, Lacan en a parlé dans le transfert, il a passé un séminaire entier à traiter de la question de l’identification, et il remet ça complètement sur le tapis. Ça semble sous entendre que pour lui le traitement des
identifications freudiennes n’est pas résolu. Il y a quelque chose qui ne va pas. Et donc il remet les questions de coupures, de trouage, de retournement, inlassablement pour faire jaillir ce qu’il appellerait l’identification. À mon sens d’ailleurs il n’y arrivera pas, je veux dire que si vous suivez la suite des séminaires il n’y a rien
qui sera listé complètement... mais il y a aussi des bizarreries, parce que dès le transfert il se met en colère contre Freud à propos de cette identification dite première. Et cette incorporation. Enfin Lacan disait que ça ne lui plaisait pas du tout. Et ce qui est très drôle c’est que dans ces années-là, comme vous le voyez dans les schémas, le tore, le second tore est absolument incorporé dans les manœuvres de retournement, il incorpore un tore dans l’autre. Il ne s’en explique pas plus. Donc ça laisse un travail colossal. Et un discernement qui est très difficile à établir sur le point où il en est lui-même de penser cet axe absolument central de l’identification.
Donc, j’en termine sur ce qui m’a spécialement alerté, intéressé qui est je crois un point important du séminaire, un point d’angoisse qui est la façon de considérer l’imaginaire dans notre culture. Je crois qu’il est probable que nous ne sommes pas assez sensibles au fait qu’un certain nombre de signifiants nouveaux, c’est-à-dire une certaine façon de transformer notre propre langue, a des effets. Il n’y a pas besoin de parler de l’identité sexuelle et du transsexualisme, par exemple il va de soi que toutes les « métaphores », entre guillemets parce que ce ne sont pas de vraies métaphores, toutes les métaphores sur ce que les gens appellent le programme génétique qui n’est pas un programme, toutes les métaphores sur ce génétisme, il faut bien penser que ça a des effets, ça a des effets bien entendu de polarité dans la langue, ça a des effets de transformation de notre langue, et ça a des effets imaginaires. Parce que par exemple, vous pouvez me dire, d’ailleurs c’est ce qu’on nous a dit à l’époque, au fond le trans-
sexualisme ce n’est qu’une question imaginaire puisqu’après tout on a répondu à une questiond’image. Le type, il se voyait femme, on a répondu d’une façon imaginaire. Pareillement pourquoi ne pas comparer l’intelligence humaine à l’intelligence artificielle ? C’est imaginaire ! Etc. Mais le problème je crois que ce n’est pas que cela. Puisque comme le dit Lacan en fin et en début de séminaire, ce fantasme en jeu, quand vous produisez ce type d’effet de signifiants, vient précisément réduire l’imaginaire à la réalisation même de ce fantasme. Et je crois que c’est dans ces moments-là que l’on peut dire que cet imaginaire-là ne tient plus le nœud du symbolique du réel et de l’imaginaire, c’est-à-dire ne tient plus les consistances d’un sujet. Peu importe de savoir si le transsexuel est fou, pervers ou hystérique brésilien, simplement c’est barzingue comme affaire. Le nœud, il devient barzingue.
Appelez ça comme vous voulez, ça ne va pas. C’est complètement dénoué, et pour lui, et pour nous dans la culture. Donc cet imaginaire-là ne tient pas, ne tient plus les autres consistances.
Donc il ne suffit pas de dire que ce n’est qu’une  réponse imaginaire, bien sûr ce n’est qu’une atteinte de l’imaginaire mais c’est énorme puisque l’imaginaire ne vient plus rien nouer. Il n’est plus propre à garantir la stabilité du nouage. Donc je me permets de conclure sur cette première phrase que je vous ai proposée, c’est
qu’effectivement pour ces questions-là, la philosophie ne peut nous renseigner, ne pourra pas nous renseigner, sur le lien qu’il y a entre le surgissement d’un signifiant et le type de jouissance qui en déborde. Ça, c’est notre travail.














 

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