mercredi 18 mai 2011



La voix du père n'est pas musicale 



Au chapitre 10 du séminaire « Les non-dupes errent » Lacan livre des indications sur la voix en reprenant la nécessité structurante de la métaphore paternelle dans la vie de l’enfant.
« L’Autre s’incarne (et ne fait que s’incarner d’ailleurs, incarne la voix) à savoir la mère. Il ne suffit pas que la mère parle ; la mère par laquelle la parole se transmet, la mère, il faut bien le dire, en est réduite ce Nom à le traduire par un Non, justement le non que dit le père.
Ce non du père, non au niveau du dire et qui se monnaye par la voix de la mère dans le dire-non d’un certain nombre d’interdictions ».
La voix doit ménager une scansion, le temps d’un dire, voire d’un silence, d’un dire que non.
L’enfant se doit d’être attrapé dans le chant maternel, sa rythmicité et ses modulations comme l’ont admirablement montré nos collègues qui travaillent sur la pulsion et la prévention possible de l’autisme.
La pulsion invocante est au programme de journées d’étude à venir.
La voix du père que Lacan convoque dans son séminaire n’est pas appel ni invocation. Sa parole n’est pas musique.
Les niveaux d’expérience sont à différencier : pour répondre à une demande et ne pas rester enfermé en dehors du monde, l’enfant règle son propre chant corporel sur celui de sa mère ; il accède ainsi à la dimension d’un certain ordre. Il gagne la verticalité, la fonctionnalité des orifices, l’organisation hiérarchisée des pulsions intriquées comme l’oralité (avaler, respirer, parler).
Cette mise en vie du corps ne dit rien pour autant de la façon dont l’enfant va affronter la jouissance dans sa nécessaire limitation. Le point de vue sur ce qui est droit n’est pas point de vue sur ce qui est juste. C’est dans cet écart constituant que se tient la voix qui dit non.
Dans les débats nombreux consacrés à l’agitation de l’enfant est souvent oubliée une caractéristique de la famille d’aujourd’hui : elle est fréquemment monoparentale, réduite au couple enfant-parent vivant dans un net isolement ; un petit s’agite et tourne en rond faute d’un nom au désir d’une maman, un nom, au nom duquel elle peut dire non.
Curieusement, c’est l’expérience de la voix hallucinatoire qui nous transmet le mieux l’impérieuse nécessité de la frappe du Nom-du-Père.
C’est probablement parce que le passage par la parole prophétique ne nous parle plus ; nous en oublions la leçon.
Or, la parole du prophète n’est justement pas musique.
Dans l’unique séminaire de 1963 intitulé « Les noms du père », qui fait suite à « L’angoisse », Lacan évoque la voix de l’Autre qui doit « dans ses incarnations diverses tant dans le champ de la psychose que dans la formation du surmoi » être considérée comme un objet essentiel et il rappelle alors la place du Shofar, qui est voix. Voix dans la tradition juive du bélier primordial, métaphore d’Élohim.
Cette référence classique est importante pour éclairer la façon dont, dans la vie pulsionnelle et aussi bien dans toute haute réalisation humaine, le regard et la voix font cercle, mais sous l’autorité de ce deuxième objet.
La voix du père a fondamentalement affaire avec ce qui tient d’une seule main le regard et la voix : regard forcé, dirigé pour l’écoute.
« Au troisième jour, le matin venu, il y eut des tonnerres et des éclairs, et une nuée épaisse sur la montagne, et un son de shofar très intense… » (Ex, 19).
La psychanalyse dépose dans sa pratique même la dimension du regard, pour privilégier celle de la voix, non pas tant commandement que lecture à voix haute de ce qui se lit de l’inconscient.
Le regard une fois déposé, la voix elle même se fait silence. L’Autre est vide.
Gershom Scholem a écrit des textes magnifiques sur Jonas et le thème de la lamentation qui peuvent accompagner le lecteur sur la question de la voix et de « lalangue ».
Son propos concerne au plus haut point la place du silence : « tant que l’intangibilité du silence n’est pas menacée, les hommes et les choses se lamenteront, car c’est précisément ce qui constitue le fond de notre espoir de restauration du langage, notre espérance de rédemption : le fait que le langage a souffert la chute mais que le silence ne l’a pas subie ». (Sur la lamentation et les cantiques de lamentation, Sur Jonas, Bayard).

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