Deux mots d’ouverture
Juste deux mots exactement, La Topologie et le Temps, je dirais que le défi qui me paraît le plus difficile pour nous, les psychanalystes, c’est d’être présents dans notre époque. Comme sujets du discours analytique, pas seulement comme et moi et moi et moi.
L’exemple que je vais vous donner c’est le thème que j’ai proposé, ce n’est pas un thème unique des travaux que nous faisons, mais c’est un thème insistant qui ne pouvait pas apparaître avec autant de force à l’époque de Lacan. Je l’ai proposé au bureau de l’A.L.I., à Marc Darmon, et qui sera travaillé en mars, c’est le problème de l’exil forcé. Les migrations et les nouveaux devoirs que ça donne à nos collègues surtout ceux qui sont dans les institutions de soins. C’est un défi moderne, il va de soi que vous n’allez pas trouver ce défi avec une telle accélération chez Lacan lui-même. La question de l’exil, des migrations des deuils et traumatismes qui les accompagne. Notre lieu a déjà changé. Nos lieux d’exercice ont changé, notre topos a changé et nous peinons à en prendre la mesure c’est-à-dire à être dans le temps de ce Réel. C’est difficile à accepter. Pour ce qui est de notre position dans les établissements de santé, ça fait moi-même un an que je me bagarre dans la grande institution de santé où je travaille, comme médecin directeur d’une institution pour enfants, pour que les médecins, les psychologues et les éducateurs spécialisés, orthophonistes et psychomotriciennes viennent en relai des enfants en considérant que ce n’est pas vocation à la médecine humanitaire de s’en occuper. Comme dans toute école, comme vous le savez, sont reçus les enfants, qu’ils aient une carte d’identité ou pas, c’est une obligation de l’Éducation Nationale. C’est une obligation en principe de la médecine aussi qui n’est pas actée. Je sais, Pierre-Christophe Cathelineau pourrait peut-être en parler, mais c’est encore secret, qu’à l’Assistance Publique les médecins eux-mêmes ont demandé à faire participer de cette boucle naturelle, légitime pour la médecine, de participer au devoir nouveau de la cité. Les psychanalystes ne peuvent pas être absents de ces questions en rien, pas simplement en faisant des cours, des contrôles, des supervisions, mais en étant présents là où ils le peuvent comme citoyen ou comme acteurs de santé. Voyez comment j’interprète La Topologie et le Temps, nous sommes dans notre lieu, si nous prenons la mesure du temps de notre époque.
Autre fait clinique, on n’a peut-être pas suffisamment attiré l’attention et que j’ai retrouvé dans un petit ouvrage d’un philosophe allemand, assez bizarrement il y a beaucoup d’ouvrages de sociologues et philosophes allemands d’une nouvelle analyse critique des discours. Assez curieusement en Allemagne que des jeunes philosophes se mettent à produire, je vous rendrais assez attentifs à cela. Il s’agit de Hartmut Rosa, Aliénation et accélération. Vers une théorie critique de la modernité tardive. Voyez La Topologie et le Temps. C’est un livre écrit par un philosophe mais très clinique dont je vous lis trois lignes de la quatrième de couverture : « La vie moderne est une constante accélération, jamais auparavant les moyens permettant de gagner du temps n’avaient atteint pareil niveau de développement grâce aux technologies de production et de communications. Pourtant, jamais l’impression de manquer de temps n’a été si répandue. » C’est notre lot absolument ordinaire. Il Poursuit un peu plus tard, Harmut Rosa « apporte de nouveaux éléments en rediscutant l’aliénation à la lumière de la vie accélérée. Ainsi il soutient et développe avec force l’idée que l’accélération engendre des formes d’aliénations sévères relatives au temps et à l’espace, aux choses et au actions, à soi et aux autres. Sous la pression d’un rythme sans cesse accru, les individus font désormais face au monde sans pouvoir l’habiter et sans parvenir à se l’approprier. » Mais c’est excellemment bien écrit, c’est de la psychopathologie écrit par un philosophe sur laquelle on a du retard nous-mêmes, sur la description de La Topologie et le Temps. Nous peinons, or c’est écrit par des sociologues et des collègues à notre endroit.
Je m’en arrête sur ces deux incises.
Transcription : Dominique Foisnet Latour.
Relecture : Érika Croisé Uhl, Dominique Foisnet Latour.
Avec l’accord de l’auteur.